C’est une de ces histoires d’amour sur lesquelles le temps n’a pas de prise. Depuis plus de 12 ans Valérie Tanfin entretien une relation professionnelle exclusive avec… les plumes.
Artisan d’art plumassière, elle travaille cette matière étonnante, à la fois résistante et souple, pour créer et restaurer des objets décoratifs, des oeuvres d’art ou encore des costumes dans son atelier qui porte son nom.
Il se trouve sur la commune de Léguevin, près de Toulouse, dans l’arrière-salle de son Plumarium, un lieu dédié à l’artisanat d’art cofondé avec sa maman en 2020.
« Ce sont deux activités et deux entreprises bien distinctes, explique la jeune femme de 31 ans. Ici, on accueille tout au long de l’année des collègues artisans d’art pour qu’ils puissent transmettre leur savoir-faire lors d’ateliers d’initiation ou de stages. Doreurs, mosaïstes, marqueterie de bois… l’objectif est vraiment de permettre à ces professionnels de faire découvrir leurs métiers, souvent méconnus, au grand public. »
Un corps de métier rare
Pour visiter son atelier, il suffit de faire quelques pas en direction de l’arrière-boutique et de franchir un seuil de porte. Créé dès 2015, elle a d’abord travaillé depuis chez elle avant de trouver le local adapté pour accueillir ces deux activités. Trois ans plus tard, Valérie Tanfin a totalement transformé cette grande pièce de 25m2 en véritable caverne d’Ali Baba.
Au centre, un magnifique bureau en bois massif lui sert de table de travail. Au-dessus, des barres de suspension lui permettent d’entreposer ses modèles les plus volumineux, parfois même gigantesques. Le long du mur, un immense rayonnage de plus de trois mètres de haut a été installé. C’est là que la plumassière conserve ses plumes, telles des trésors.
Triées par couleurs, dimensions et espèces, elles sont soigneusement rangées dans des boîtes étiquetées : canard, faisan, pintade, paon, poule, coq, autruche…
« Pour faire simple, on utilise les plumes des oiseaux que l’on mange, à quelques exceptions bien sûr. Ce sont des oiseaux d’élevage dont on récupère les plumes pendant la période de la mue, donc les quantités sont limitées. D’où le prix parfois élevé », détaille l’artisan d’art qui achète ses plumes auprès de différents fournisseurs à travers le monde.
« Depuis 1973, et la convention dite de Washington, le marché est très réglementé. Il est, par exemple, aujourd’hui interdit de faire le commerce de plumes de perroquets. » Ces réglementations successives, et de plus en plus restrictives, ont poussé les plumassiers à se diversifier pour continuer à exister.
Une métamorphose déjà amorcée au milieu du XXe siècle, époque à laquelle la profession a bien failli disparaître. « Au sortir de la Première Guerre Mondiale, le secteur s’est effondré et les ateliers, majoritairement parisiens, ont fermé les uns après les autres. » raconte Valérie Tanfin
« La plume, qui était alors un accessoire de mode incontournable (chapeaux, parures, manchons, capes ombrelles…) a fini par tomber en désuétude. »
Ce sont les uniformes militaires et le monde du spectacle qui ont finalement permis de sauver ce métier d’art rare. C’est d’ailleurs en travaillant dans les coulisses du plus emblématique cabaret de Paris que la Toulousaine a eu le coup de foudre pour les plumes.
Une formation dans la mode
Après un BEP, métiers de la mode au lycée Gabriel Péri, elle y poursuit son apprentissage avec un DTMS, un diplôme de technicien des métiers du spectacle.
« J’ai notamment appris le métier de couturière et d’habilleuse pour le monde du spectacle. C’est à cette époque que j’ai eu la chance de faire un stage au Moulin Rouge et que j’ai découvert le travail de la plume. Les costumes étaient tout simplement somptueux. Après plusieurs semaines comme stagiaire dans les ateliers et les coulisses, je savais que je voulais en faire mon métier. »
Diplôme en poche, elle monte à Paris pour se former dans le seul établissement en France qui propose la préparation au CAP plumassière, l’école Octave Feuillet, située dans le 16e arrondissement.
Alors âgée de 19 ans, elle réalise sa formation en alternance dans la prestigieuse Maison d’art Lemarié, LE plumassier de la haute-couture, racheté par Chanel. Comme dans tous ces ateliers où la perfection et l’excellence sont les maîtres mots, ce sont les anciennes qui apprennent le métier aux jeunes apprentis.
« Une transmission orale et manuelle, de génération en génération de plumassières », raconte Valérie Tanfin qui garde un souvenir ému de cette époque où elle a appris à connaître sa matière.
« C’est-à- dire toutes les variétés de plumes et leurs singularités. Le but est vraiment d’acquérir une expertise de la matière et pour cela on apprend à la travailler : on peut la découper, la friser, la coller… la déconstruire pour la reconstruire. Bref, les possibilités sont infinies. »
Et parce que dans ce monde de l’ultra luxe, le temps n’a pas la même valeur, « on pouvait travailler une heure sur une plume ou même passer 800 heures sur une robe ». Un travail d’orfèvre qui lui permet d’acquérir un solide savoir-faire mais qui l’use moralement et physiquement.
« Avec huit collections en moyenne par an pour Chanel, sans parler des autres maisons de haute couture, on faisait du 15 heures par jour, six jours par semaine à l’époque. C’est difficile dans ces conditions-là d’avoir une vie privée épanouie », confie la jeune femme devenue depuis maman d’un petit garçon.
À 21 ans, et malgré un poste en CDI qui lui tend les bras, elle décide de partir. Au culot, elle tente sa chance auprès de la Maison Février, dont les ateliers sont situés au quatrième étage du célèbre Moulin Rouge.
Une expérience professionnelle enrichissante
Pari gagnant. Elle rejoint une équipe de trois plumassières et retrouve l’univers qui a lui donné envie de faire ce métier : le music-hall.
« Je suis restée deux ans pendant lesquelles j’ai découvert une nouvelle facette de mon métier avec des techniques et des plumes différentes, raconte Valérie Tanfin. La revue du Moulin Rouge existe depuis 1999, il faut donc entretenir les costumes, souvent volumineux, qui sont portés 365 jours par an, avec deux représentations chaque soir. J’ai aussi confectionné des costumes à partir de croquis de l’époque, tous se devant d’être identiques : le même nombre de plumes, à la même taille, avec la même teinte… J’ai adoré cette période. Le monde du spectacle est stimulant et fascinant. Et puis, on est aussi fier de se dire que son travail est vu et apprécié par des milliers de spectateurs. »
Mais après de longues années loin de Toulouse, elle décide en 2015 de revenir s’installer dans la Ville rose, plus précisément à Léguevin avec son compagnon, et de lancer son atelier.
Si Valérie Tanfin continue ses collaborations avec des marques de luxe et travaille encore sur certains spectacles, à l’image de Casse-Noisette joué au Théâtre du Capitole, « au quotidien je réalise surtout des objets pour de la décoration d’intérieure, sous forme de tableaux ou encore de parures murales ».
Des réalisations souvent minimalistes, où il faut se rapprocher pour distinguer la matière, et d’autres fois démesurées, voire même extravagantes. « Je vends mes modèles en direct, lors de salons ou d’exposition. Je n’ai pas de site marchand, seulement une vitrine où je poste des photos. »
Une activité diversifiée
La plumassière est aussi sollicitée pour restaurer des objets. Dernièrement, c’est un éventail en plumes de perroquet des années 1910 qui lui a demandé plus de 25 heures de travail.
« Dans la restauration, le but n’est pas de faire du neuf mais bien d’intervenir le plus discrètement possible pour redonner à ces objets leur lustre d’antan et ainsi leur permettre de continuer à traverser les époques. »
C’est ce savoir-faire et cette expertise qui lui ont permis d’être sélectionnée - avec 11 autres artisans - par le syndicat professionnel des métiers d’art pour représenter la région Occitanie lors du salon Révélations.
Véritable biennale internationale des métiers d’art et de création, il se tiendra à Paris du 7 au 11 juin 2023, au Grand Palais Ephémère. Une consécration pour la plumassière qui va devoir pour l’occasion créer une pièce artistique.
« C’est vraiment une belle reconnaissance de mes pairs, j’en suis très heureuse. Et puis ce salon est une chance unique de montrer mon travail à un public très large, dont beaucoup de professionnels », explique Valérie Tanfin qui lorsqu’on lui demande d’où lui vient sa fibre artistique, botte en touche, comme gênée.
Elle a bien un oncle sculpteur, et c’est vrai que sa mère s’est perfectionnée avec le temps dans la broderie d’art mais non vraiment, elle ne voit pas. « S’il y a effectivement un truc qui traverse la famille depuis plusieurs générations, c’est de l’ordre du non dit. De l’indicible », finit-elle par expliquer simplement. Humblement.
Comme l’écrivait si bien le philosophe Denis Diderot, « c’est peut-être chez les artisans qu’il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l’esprit, de sa patience et de ses ressources ». Il aurait pu rajouter les preuves les plus admirables d’humilité…