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L’Académie des Jeux Floraux : la défense et la promotion de la littérature française

Philippe Dazet-Brun. Secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux Floraux, il révèle les secrets de cette société savante unique en son genre.

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L’hôtel d’Assézat, à Toulouse, abrite la plus ancienne société savante du monde occidental, l’Académie des Jeux Floraux. maeva curutchet

Situé à deux pas du Pont Neuf de Toulouse, se trouve un joyau architectural datant du XVIe siècle : l’hôtel d’Assézat. Cet hôtel particulier, classé monument historique depuis 1914, abrite la plus ancienne société savante du monde occidental qui récompense, chaque année, une quarantaine de poètes, romanciers et essayistes français à l’occasion d’un concours littéraire de haute volée. L’Académie des Jeux floraux, attribue en effet depuis 1324 un prestigieux prix à des auteurs qui, par le biais de leur talent, acquièrent le statut de grands maîtres de la littérature française. Parmi ces auteurs, furent couronnés Voltaire en 1747, Victor Hugo en 1821, François-René de Chateaubriand l’année suivante, et bien d’autres…
Philippe Dazet-Brun, secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux floraux depuis 2016, a accepté de nous livrer les mystères de cette société savante.

Comment est née l’Académie des Jeux Floraux  ?

L’académie des Jeux Floraux a vu le jour à Toulouse, berceau de la langue d’oc, en novembre 1323. Le comté de Toulouse, à peine rattaché au Royaume de France, voit son patrimoine menacé par l’arrivée d’une nouvelle langue officielle : le français. Pour protéger la langue propre au comté, sept troubadours, qui avaient l’habitude de se retrouver dans les jardins des Augustines pour échanger leurs poèmes, décidèrent de créer un concours de poésie entièrement en langue d’oc où se rassemblèrent tous les notables de Toulouse. Le concours débuta le 3 mai 1324, jour de la Sainte Croix, et le premier lauréat, Arnaud Vidal, fut couronné d’une violette d’or. Le succès de ce concours fut tel que les capitouls se dirent prêts à financer les prix et étoffent le bouquet final, ajoutant ainsi l’églantine et le souci. Les successeurs des sept troubadours devinrent les régisseurs du concours et obtinrent le statut de mainteneurs. Leur compagnie acquit le nom de Consistori del Gay Saber (ou Consistoire du Gai Savoir) et le concours littéraire fut dénommé Jeux floraux.

Quels sont les critères de sélection  ?

Il n’y a pas spécialement de critère. Toujours est-il que les candidats doivent démontrer une parfaite maîtrise de la langue française (ou autrefois la langue d’oc) irréprochable, et teintée d’un style poétique. Les formes sont libres mais, naturellement, un sonnet doit ressembler à un sonnet, de même pour un roman. Enfin, l’unanimité des votes des trois jurys débouche sur l’obtention de la fleur. Les auteurs confirmés tout comme les jeunes poètes sont invités à présenter leurs œuvres.

À partir de 1480, néanmoins, les Jeux Floraux sont interrompus pendant une dizaine d’années. Pourquoi ?

Les épidémies de peste et les disettes entraînent l’interruption des Jeux Floraux jusqu’à l’arrivée d’une femme, Clémence Isaure, qui aurait légué une partie de sa fortune à la municipalité de Toulouse afin de restaurer les Jeux. Bien qu’il n’y ait aucune preuve de son existence si ce n’est le legs adressé à la municipalité, elle est néanmoins perçue comme la figure emblématique de notre académie.

Et vous, croyez-vous en l’existence de Clémence Isaure  ?

J’en suis convaincu ! Toulouse était une petite ville et tout le monde savait ce qu’il s’y passait, en particulier dans le cercle intellectuel que forme l’Académie. Si Clémence Isaure n’avait pas existé, il est évident que les membres des Jeux floraux, mais également la population, l’auraient su. Pour autant, elle est encore perçue comme le fruit de l’imagination des capitouls. Ces derniers auraient créé de toutes pièces ce mécène dans le but de mener des opérations financières douteuses afin de restaurer le concours littéraire. Un gisant a, par ailleurs, été transformé en statue de façon à représenter Clémence Isaure tenant un parchemin dans sa main gauche, pour désigner les Jeux floraux, et un bouquet de fleurs dans sa main droite, rappelant le prix décerné aux lauréats.

Quel a été le moment le plus marquant de l’histoire de l’Académie  ?

En septembre 1694, grâce à l’appui du poète et diplomate français Simon de La Loubère, Louis XIV attribua aux Jeux floraux le statut d’Académie. Dès lors, 40 mainteneurs sont nommés et ont la possibilité de présenter régulièrement des travaux de recherche entièrement consacrés aux belles-lettres. Des conférences et des réceptions sont également organisées depuis. Cinquante ans plus tard, le poète et encyclopédiste François-Marie Arouet, plus connu sous le nom de Voltaire, devient lauréat à son tour, mais la période révolutionnaire qui s’ensuit entraine la fermeture de toutes les sociétés savantes de France. Ce n’est qu’à partir de 1806 que Napoléon Bonaparte restaure toutes les sociétés intellectuelles de France, dont la nôtre. Quatre hommes notables deviennent les lauréats du concours durant cette première moitié du XIXe siècle : Victor Hugo en 1820, Chateaubriand l’année suivante, Baour-Lormian en 1824, et Chênedollé en 1827. Fut également lauréat du concours, en 1875, Frédéric Mistral, membre de l’association du Félibrige œuvrant pour la sauvegarde de l’identité des pays de langue d’oc. À la fin du siècle, la démolition d’une partie du Capitole oblige l’Académie des Jeux floraux à changer de lieu d’hébergement. À peine cette démolition entamée, le banquier Théodore Ozenne, alors sans descendant, lègue tous ses biens à la municipalité de Toulouse dont l’hôtel d’Assézat. Et  hôtel particulier abrite désormais l’Académie des Jeux floraux où le concours est perpétué, ainsi que la Fondation Bemberg qui, depuis 1980, présente au grand public la collection d’art privée du riche Argentin Georges Bemberg.

Qu’en est-il de l’Académie des Jeux Floraux aujourd’hui  ?

À ce jour, l’Académie des Jeux floraux est composée de 40 mainteneurs, incluant deux censeurs, un archiviste, un bibliothécaire, et un secrétaire perpétuel, qui décernent chaque année 11 fleurs d’or aux lauréats. La violette récompense les épîtres et les discours en vers, l’églantine est destinée aux sonnets, et la primevère aux fables. Par ailleurs, nous publions chaque année un recueil contenant les œuvres primées dans toute la France et organisons des conférences gratuites depuis quarante ans. L’année 2020 a été une exception en raison de la pandémie de Covid-19. Comme en 1480, conditions sanitaires obligent, le concours a été interrompu mais nous espérons être en mesure de décerner les prix d’ici septembre 2021.