Wozzeck, de Büchner à Berg
Spectacle. Chef-d’oeuvre absolu de la première moitié du XXe siècle, Wozzeck, est à l’affiche du Théâtre du Capitole dans une nouvelle production.
Évocation saisissante du destin tragique du soldat Wozzeck et de Marie dans l’Allemagne des années 1820, l’opéra d’Alban Berg est à l’affiche du Théâtre du Capitole du 19 au 25 novembre. Il réunira la mezzo-soprano Sophie Koch et le baryton Stéphane Degout, dans des prises de rôle très attendues, sous la baguette de Leo Hussain. La mise en scène de Michel Fau éclairera d’une lumière crue l’oppression sociale dénoncée par la pièce de Büchner, entre fidélité historique et fantasmagorie hallucinatoire.
Leipzig, 1821 : Johann Christian Woyzeck, soldat misérable malmené par ses supérieurs et torturé par la jalousie, poignarde sa maîtresse. Lors de son procès, il affirme avoir entendu des voix apocalyptiques qui le poussaient au crime. Soumis à l’une des premières expertises psychiatriques de l’Histoire (le fameux rapport Clarus), il est néanmoins déclaré responsable de ses actes et décapité en 1824. Zurich, 1837 : le tout jeune poète Georg Büchner, étudiant en médecine et intellectuel engagé dans le socialisme révolutionnaire, poursuivi pour désertion, est réfugié en Suisse.
Après La mort de Danton et Léonce et Lena, il s’attelle à une pièce ambitieuse, frappé par le destin du soldat Woyzeck, une réflexion sur le « fatalisme de l’Histoire » (on dirait aujourd’hui : déterminisme social) et les délires (on dirait : psychoses) qu’elle engendre chez les individus opprimés. Il compose plus de 25 tableaux discontinus, sans numérotation de scènes ni de pages, dans une écriture serrée et presque illisible, une langue aux multiples dialectes. La postérité conserve quatre états du manuscrit ; pour lui cependant, la pièce est quasiment finie, mais le typhus l’emporte avant son rendez-vous chez l’éditeur. Il n’a que 23 ans.
Un opéra en trois actes
Berlin, 1925 : le compositeur autrichien Alban Berg crée son premier opéra, d’après la pièce de Büchner, dans une version reconstituée par Karl Emil Franzos en 1879 pour l’édition des oeuvres complètes du poète. Même le nom du soldat avait été difficile à déchiffrer, et Berg reprend l’orthographe fautive de l’édition : Wozzeck. Berg a été frappé par l’incroyable modernité de Büchner, dans son sujet social comme dans sa forme fragmentaire. Son maître, Arnold Schoenberg, est choqué qu’un fait divers si sordide puisse faire l’objet d’un opéra. Mais Berg, face à l’écriture discontinue de la pièce, va tenter un coup de force : prendre acte de la révolution du langage atonal (« tonalité suspendue ») de Schoenberg et offrir au texte la structure qui lui manquait.
Trois actes relevant de la tragédie (« Exposition, Péripétie, Catastrophe »), chacune des 15 scènes étant sous le signe d’une forme musicale ancienne (passacaille, fantaisie et fugue, rondo, etc.) ou contemporaine (une note, un intervalle, une cellule rythmique, etc.) : une structure qui « relève déjà de l’architectonique musicale plutôt que de l’art dramatique » (Berg). Le compositeur parvient à relever le défi de l’atonalité contemporaine tout en intégrant la tradition, et jusqu’aux vastes symphonies postromantiques de Mahler, avec leurs éléments populaires s’entrechoquant avec les stridences du monde moderne.
Le résultat est con fondant d’intensité tragique, transfigurant le drame social en voyage aux tréfonds de la psyché humaine. Pour aller plus loin, le dramaturge Dorian Astor donnera une conférence sur le thème : « Wozzeck, de Büchner à Berg » le 18 novembre à 18 heures au Théâtre du Capitole (entrée libre).
Infos et réservations sur www.theatreducapitole.fr
0561631313