Collectivités

Crise agricole en Occitanie : les braises de la colère ne sont pas éteintes

Agriculture. Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA est en déplacement ce jeudi 31 octobre à Merville, à côté de Toulouse. Cette visite intervient alors que les agriculteurs se remobilisent un peu partout en France, quelques mois seulement après les fortes manifestations qui avaient paralysé une partie du pays, à l’image de l’Occitanie, berceau de la contestation. Alors que les revendications s’accumulent, plusieurs syndicats appellent à une nouvelle journée de mobilisation nationale le 15 novembre prochain.

Lecture 8 min
Photo d'une manifestation agricole
Le 16 janvier 2024, près de 400 tracteurs et 2 000 agriculteurs venus de toute la région avaient convergé vers le centre-ville de Toulouse pour une journée d’action de grande envergure. (Gazette du Midi)

Le 18 octobre dernier, 70 agriculteurs ont déposé devant la préfecture de Montauban (Tarn-et-Garonne) plus de 250 panneaux d’entrée et de sortie de villes du département. La veille au soir, c’est de la laine de mouton mélangée avec des bottes de foin et de la paille qui avaient été déversées par des collègues à eux devant plusieurs bâtiments de l’État à Auch (Gers).

Loin, d’être isolées, ces actions coup de poing se multiplient un peu partout sur le territoire français ces dernières semaines. C’est dans ce contexte pour le moins tendu que le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), Arnaud Rousseau et son homologue Maxime Buizard Blondeau, membre du bureau national des Jeunes Agriculteur (JA) sont attendus ce jeudi 31 octobre 2024 à Merville, à côté de Toulouse (Haute-Garonne).

Fort enjeu autour des élections professionnelles de janvier

Au programme de ce déplacement : une visite d’exploitation, suivie par un temps d’échange et de débat sur la situation agricole du département. Organisée à l’initiative de la FDSEA 31 et des JA 31, cette rencontre avec les agriculteurs est aussi et surtout l’occasion pour les deux syndicats d’aborder deux actualités chaudes. La première concerne les prochaines élections professionnelles.

Entre le 7 et le 31 janvier 2025, près de 2,2 millions d’électeurs issus du monde agricole seront en effet appelés à se rendre aux urnes pour élire leurs représentants aux chambres d’agriculture pour un mandat de six ans. À l’heure où la profession fait face à l’une des pires crises de son histoire entre : baisse des rendements (-13 % par rapport à 2023 rien que pour le blé), catastrophes climatiques, épidémies à la chaine, multiplication des normes… la représentation des intérêts des professionnels de la terre, à l’issue de ces nouvelles élections, semble plus cruciale que jamais.

Second sujet brûlant : le retour de la contestation agricole après un hiver 2023-2024 déjà marqué par une mobilisation historique, notamment en Occitanie. C’est la suspension du projet de la loi d’orientation agricole en raison de la dissolution qui a ravivé les braises d’une contestation jamais vraiment éteintes. Très attendue par le secteur – même si jugée insuffisante par certains acteurs – cette loi d’orientation pour « la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA) » avait été adoptée en première lecture à l’Assemblée en mai. Elle devait aboutir à la mise en œuvre d’une grande partie des revendications exprimées lors des manifestations du début d’année.

Vers une France sans agriculteurs ?

Mais voilà, « le travail engagé entre les différents syndicats et les ministères concernés s’est arrêté brutalement en juin dernier. Et aujourd’hui, le premier ministre annonce son examen au Sénat au mois de janvier ou peut-être février, or il n’y a plus de temps à perdre, explique Mathieu Maronèse, secrétaire général adjoint des JA31. Déjà qu’il faudra des mois voire des années pour résoudre le problème de l’agriculture, nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre. Il faut agir dès maintenant. » Agriculteur céréalier installé à Bonrepos-Riquet, au nord-est de la Ville rose, le syndicaliste a du mal à cacher sa frustration. S’il réfute le terme de trahison, il déplore « un manque de considération » de la part des gouvernants à l’égard de la profession. « Clairement ils se foutent de nous », lâche l’intéressé qui avertit :

Même si nous sommes très résilients, il y a un moment où nous ne pourrons plus encaisser et nous finirons par mettre nos terres en friche car aujourd’hui les travailler nous coûte plus que ça nous rapporte. Et avec déjà aujourd’hui près de 200 agriculteurs qui mettent la clé sous la porte chaque semaine on se dirige lentement mais sûrement vers une France sans agriculteurs. »

L’accord UE-Mercosur dans le viseur

Si certaines colères et revendications exprimées par les agriculteurs ont été entendues par le précédent gouvernement, qui a notamment rétropédalé sur la hausse progressive de la taxe sur le gazole non routier agricole (GNR), d’autres restent pour l’instant sans réponse ou sans solution pérenne : simplification administrative, rémunération "plus juste" pour tous les agriculteurs, respect absolu des lois Egalim, etc. Et de nouvelles apparaissent. La dernière en date : le retour du projet d’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne.

Suspendu depuis 2019, ce traité commercial très décrié notamment par Emmanuel Macron a pour ambition d’intensifier les échanges de biens et de services entre les pays membres de ces deux blocs économiques mondiaux. Côté agricole, il vise notamment à faciliter l’importation de viande bovine et de sucre en provenance de plusieurs pays d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie) sur le sol européen.

Une aberration pour Mathieu Maronèse : « Nous avons multiplié par dix les importations de sucre en France ces dernières années. Vous savez pourquoi ? Non pas parce que l’on en consomme plus mais tout simplement parce que l’on en produit de moins en moins. L’interdiction de certains pesticides utilisés dans la culture de la betterave sucrière a fait chuter les niveaux de rendements et donc a fragilisé une filière déjà fortement éprouvée par des prix bas et une surproduction mondiale. La production n’étant plus là, nous l’importons. Mais on l’importe d’où ? De pays qui eux continuent d’utiliser ces mêmes insecticides. On marche sur la tête ! D’autant que là on parle de 180 000 tonnes de sucre ! »

Vent debout contre cet accord de libre-échange qualifié de « ligne écarlate » par Arnaud Rousseau, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont donné rendez-vous à leurs troupes pour une nouvelle mobilisation nationale le 15 novembre, trois jours avant le début du sommet du G20 à Rio de Janeiro, au Brésil. Sommet durant lequel le traité pourrait être ratifié. « Notre revendication principale reste la même qu’hier, à savoir que l’agriculture devienne une priorité nationale », conclut Mathieu Maronèse.