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Aérospatial : 5 000 emplois à pourvoir dans le Grand Sud-Ouest chaque année

Industrie. La reprise du trafic aérien se traduit par de nouvelles prises de commande record pour l’avionneur européen Airbus. Pour faire face à la montée en cadence des chaines de production et au défi technologique que constitue l’avion décarboné, les besoins de recrutement sont très élevés. Même évolution du côté du spatial, porté par les perspectives de marché très dynamiques du New Space.

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Photo de l'assemblage d'un Airbus
Le carnet de commandes d’Airbus s’élevait à la fin de l’année 2023 à 8 598 avions (©Airbus SAS 2023).

« L’année 2023 a été une année mémorable pour l’activité avions commerciaux », expliquait le 11 janvier 2024 Guillaume Faury, le président exécutif d’Airbus au moment de dresser le bilan commercial de l’année écoulée. L’avionneur européen, qui a enregistré 2 094 nouvelles commandes nettes l’an dernier, voit son carnet de commandes à la fin de l’année 2023 s’élever à 8 598 avions.

Pour relever ce challenge industriel, les membres du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) prévoyaient, l’an dernier, de recruter 25 000 personnes. Pour 2024, leurs prévisions sont du même ordre. Dans le Grand Sud-Ouest, qui concentre près de 40 % des effectifs de la filière aéronautique en France, soit 10 8000 salariés aujourd’hui, et 60 % des effectifs de la filière spatiale dans l’Hexagone, soit 22 000 emplois, le défi est colossal, comme l’a expliqué le 16 janvier 2024 à Bordeaux, lors d’une conférence de presse de rentrée, Bruno Darboux, président du pôle de compétitivité Aerospace Valley.

Il faudra absorber une croissance de 5 000 emplois en plus tous les ans, sur les 10 ans qui viennent, et 5 000 emplois supplémentaires, ce sont 10 000 recrutements en plus. »

Double diagnostic

Photo de Yoann Ducuing
Yoann Ducuing, directeur délégué solutions et services BRICKS au sein d’Aerospace Valley (©Aerospace Valley).

Bien conscient de ces enjeux, le pôle Aerospace Valley dont la vocation est, on le rappelle, de « contribuer au développement et à la compétitivité de ses membres par l’innovation en favorisant les projets collaboratifs de R&D », a piloté, dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt Compétences et métiers d’avenir du plan France 2030, deux études prospectives sur les besoins en emplois des filières aéronautique et spatiale sur le territoire du pôle, à savoir les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie où Aerospace Valley regroupe aujourd’hui 865 membres (dont plus de 600 PME).

Les résultats de ces deux diagnostics ont été présentés le 16 janvier 2024 par Yoann Ducuing, directeur délégué solutions et services BRICKS au sein d’Aerospace Valley. Né en décembre 2020 de l’intégration au sein du pôle de l’Institut Aéronautique et Spatial, BRICKS conçoit et met en œuvre des solutions et services de formation continue sur mesure à destination de professionnels étrangers du secteur aéronautique et spatial.

Côté aéronautique, les effectifs devraient croitre de 24% et 47% d’ici 2035, suivant le scénario retenu. « Le premier de ces deux scénarios, "voler plus vert" prend en compte l’introduction de technologies dédiées à la production d’un avion bas carbone, que soit les carburants d’aviation durable (SAF), l’avion à hydrogène, l’avion électrique, le design ou les opérations aéronautiques telles que le vol en formation.

Le second scénario, "voler moins" part du principe que l’on va tous voler moins pour examiner les impacts que cela peut avoir sur la filière, détaille Yoann Ducuing. Or quel que soit le scénario envisagé, la croissance des effectifs est relativement importante. La vérité se situe certainement entre les deux scénarios. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes face à des besoins importants qu’il faudra être en capacité de fournir en terme de formation puis de recrutement. »

Les auteurs de l’étude s’attendent, d’ici 2035, à une croissance de 11 500 postes dans le secteur de la production pour faire face à la montée en puissance et de 10 000 postes dans le domaine de la R&D et de l’ingénierie, liée à l’avion bas carbone, lequel pourrait à terme représenter quelque 30 000 emplois dédiés.

Dans le domaine spatial, aussi les perspectives d’évolution des effectifs sont spectaculaires : de 21 à 80 % de croissance selon l’hypothèse retenue : l’une dite « au fil de l’eau » et l’autre qui tient compte des dynamiques et taux de croissance annoncés pour les différents marchés. « Pour le spatial aussi, il y a un enjeu de recrutement et de formation extrêmement fort. »

De nouvelles compétences et de nouveaux métiers

Si les volumes d’emploi concernés sont importants, la nature même des recrutements évolue également avec l’arrivée de nouvelles compétences liées à la décarbonation de l’aviation. Des compétences qui existent par ailleurs mais sont inédites dans le champ aéronautique telles que la chimie, la cryogénie, la climatologie et la météorologie, l’électronique de puissance ou encore l’analyse du cycle de vie, l’éco-conception…

En parallèle, d’autres compétences plus traditionnelles devront être fortement renforcées, toujours dans la perspective de l’avion bas carbone, à savoir l’aérodynamique, la thermique, la mécanique, les systèmes embarqués, la cybersécurité ou encore le traitement et la collecte des données. Et Yoann Ducuing d’ajouter :

D’autres compétences sont également très attendues dans les 10 prochaines années, à savoir l’acquisition de soft skills destinés à intégrer les enjeux socio-économiques et l’impact des choix technologiques sur l’environnement. Des réflexions sont en effet actuellement menées sur l’ingénieur de demain qui devra être capable de saisir les enjeux et l’impact de ses actions sur la société du point de vue citoyen et environnemental. »

Dans le domaine spatial aussi, de nouvelles compétences sont attendues, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle, la cybersécurité, la sécurité de l’espace, la santé, les smart cities, smart building et smart véhicule et le quantique. De nouveaux métiers devraient ainsi apparaître, notamment dans le domaine spatial, tels des écologues, chargés de mesurer l’impact des activités sur l’environnement ou encore des pentesteurs, pour simuler des intrusions dans les systèmes informatiques.

Des enjeux de formation très importants

Ces perspectives d’évolution des effectifs dans les deux filières soulèvent de nombreuses interrogations : maintien de l’attractivité, fidélisation des profils, formation tout au long de la vie. Dans le domaine spatial, d’autres problématiques apparaissent liées notamment à la concurrence exacerbée à laquelle se livrent les acteurs à l’échelle nationale, européenne et mondiale, ajoutée à une problématique de pyramide des âges avec dans un secteur où un quart des effectifs ont plus de 56 ans.

Pour faire face à ces recrutements massifs, la formation devient un enjeu capital. Si le Grand Sud-Ouest peut s’appuyer sur une offre « riche et très diversifiée », avec 350 formations recensées dans les domaines aéronautique et spatial dont plus de 250 en Occitanie, les auteurs des diagnostics mettent en exergue deux points de vigilance que détaille ajoute Yoann Ducuing :

On a beau faire les parcours les plus adaptés et les plus séduisants, si les amphis ne se remplissent pas, on n’aura pas résolu le problème. Donc avant de parler d’attractivité des entreprises et de la filière, il faut parler de l’attractivité des formations. C’est un enjeu très fort pour le monde académique et les institutions comme le campus des métiers de l’UIMM ou le Gifas. L’autre question soulevée, c’est la capacité des établissements à former les volumes annoncés, qui sont potentiellement extrêmement importants. Nous avons alerté les organismes de formation de telle sorte qu’ils se mettent en ordre de marche pour absorber ces flux ».

Des projets de formation dimensionnants et fédérateurs

De fait, le second volet de l’appel à manifestation d’intérêt Compétences et métiers d’avenir du plan France 2030 comporte une seconde étape, après celle du diagnostic, à savoir la création de dispositifs de formation « ambitieux et extrêmement dimensionnants ». « La balle est désormais dans le camp des écoles, des universités et des organismes de formation privés, qui ont, pour une fois, les moyens de leurs ambitions puisque le ticket d’entrée est d’1 M€ minimum par projet. »

Dans cette nouvelle étape, le rôle du pôle est de favoriser l’émergence de projets de formation dimensionnants et fédérateurs sur le territoire. « Nous avons déjà commencé à agir en sensibilisant les différents établissements car le train ne passera pas deux fois. C’est le moment d’y aller, de se réunir et de créer des formations innovantes, les formations du futur. »

Plusieurs projets birégionaux sont ainsi en cours de montage pour répondre à ces enjeux.