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Audition : le montpelliérain Cilcare lève 40 M€ pour financer deux nouveaux essais cliniques

Santé. Fondée en 2014 par trois anciennes cadres de Sanofi, la pépite héraultaise développe deux médicaments qui visent la synaptopathie cochléaire, une pathologie qui menace plus d’un milliard de jeunes et touche 10 à 15% de la population adulte mondiale. Elle a signé un accord de licence sur option avec un laboratoire japonais en vue de leur commercialisation.

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Sylvie Pucheu, Marie-Pierre Pasdelou et Celia Belline ont fondé Cilcare en 2014, une société de biotechnologie spécialisée dans les troubles de l’audition. (©Cilcare)

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 2,5 milliards de personnes dans le monde, soit une personne sur quatre, souffrira de déficience auditive à des degrés divers d’ici à 2050. Or comme les quatre autres sens, « l’ouïe est précieuse, rappelle son directeur général. Une déficience auditive non soignée peut avoir des effets dévastateurs sur l’aptitude des personnes à communiquer, à s’instruire et à gagner leur vie. Elle peut aussi avoir des répercussions sur la santé mentale et sur la capacité à entretenir des relations. »

Enrayer cette « épidémie » constitue donc un enjeu considérable, « qui aujourd’hui n’a pas été finalement considérée par les industriels de la pharma comme un axe à aborder », déplore Celia Belline, présidente de Cilcare. Avec Sylvie Pucheu et Marie-Pierre Pasdelou, elle a quitté le groupe pharmaceutique Sanofi où elles travaillaient depuis plusieurs années sur des projets de recherche liés au bien-vieillir, pour fonder il y a 10 ans cette société de biotechnologie basée à Montpellier.

Spécialisée dans les sciences auditives, elle développe aujourd’hui un portefeuille de plusieurs futurs médicaments. Pour ce faire, elle s’appuie sur une plateforme de R&D très poussée mais aussi sur l’utilisation de l’intelligence artificielle et du machine learning pour caractériser les différentes formes de pertes auditives. En parallèle, elle met aussi depuis 10 ans sa technologie à disposition des industriels et des chercheurs en Europe, aux États-Unis et en Asie pour accélérer le développement de médicaments, de thérapies géniques et cellulaires, ainsi que de dispositifs médicaux pour les troubles auditifs.

Une méga levée de fonds

Soutenue à sa création par l’association de business angels montpelliéraine Melies et le fonds d’amorçage régional Créalia, l’entreprise, qui est également implantée depuis 2017 à Boston, aux États-Unis, a financé son développement très rapide grâce essentiellement au chiffre d’affaires généré par son activité de prestations de services. Mais en décembre 2024, elle a franchi un nouveau cap avec l’annonce d’un tour de table de 40 M€ auprès de ses partenaires historiques – Sofilaro, l’Agence régionale investissements stratégiques (ARIS), SudPME ou encore UVM Health Capital – mais aussi de nouveaux investisseurs tels que le laboratoire japonais Shionogi ou encore Sprim Global Investments, basé à Singapour.

Ces fonds vont lui permettre de financer deux essais cliniques de phase 2a pour le candidat médicament CIL001, ciblant la synaptopathie cochléaire, principale cause des troubles de compréhension dans le bruit, acouphènes, hyperacousie, ainsi que l’avancement du développement préclinique d’un second candidat médicament dénommé CIL003. Deux solutions thérapeutiques qui pourraient bien révolutionner le traitement de certains troubles de l’audition.

À la différence d’acteurs qui travaillent sur la thérapie génique, comme Sensorion, qui s’attache au traitement de la déficience auditive chez les bébés, « nous abordons l’audition comme la grande épidémie mondiale liée au mode de vie, c’est-à-dire l’exposition au bruit, le vieillissement de la population, l’urbanisation. Nous avons travaillé sur ce qu’on appelle la synaptopathie cochléaire qui est la première phase de cette perte d’audition qui correspond à une déconnexion des fibres qui lie les cellules au nerf auditif », détaille Celia Belline.

Ces fibres se déconnectent au fur et à mesure du temps en raison du vieillissement, ou sous l’effet d’autres phénomènes, dont le bruit et d’autres maladies chroniques inflammatoires. L’enjeu pour la chercheuse est de restaurer ses connections. Et d’ajouter :

Nous avons développé des molécules, qui injectées sous forme de gel derrière le tympan, vont se diffuser dans la cochlée et promouvoir la production de facteurs neurotrophiques qui vont faire repousser et reconnecter les fibres de la cellule au nerf auditif. »

La surdité cachée

Sous-diagnostiquée parce qu’indétectable par un audiogramme standard, cette pathologie, aussi appelée surdité cachée, menace plus d’un milliard de jeunes et touche 10 à 15 % de la population adulte mondiale. Elle est également plus fréquente chez les personnes atteintes de maladies chroniques inflammatoires et neurodégénératives, comme le diabète de type 2 et la maladie d’Alzheimer. Chez les patients atteints de diabète de type 2, Cilcare a identifié une prévalence élevée de synaptopathie cochléaire de près de 40 %.

Prévu pour débuter au second semestre 2025, le premier essai clinique de phase 2a vise à tester le médicament chez le patient diabétique. Une cohorte de 120 patients, doit être recruter en Europe et aux États-Unis. La deuxième étude démarrera quelques mois plus tard, en 2026, et ciblera une population de patients atteints de maladies neurodégénératives.

L’entreprise qui a reçu, en juin dernier, 4,2 M€ de Bpifrance dans le cadre de l’appel à projet « i-Démo » du plan France 2030, a développé en parallèle un outil d’aide au diagnostic précoce fondé sur l’analyse de données pré-cliniques et cliniques et l’utilisation de l’intelligence artificielle. Un outil qui doit servir à la fois au recrutement des patients, particulièrement nécessaire dans le domaine des troubles de l’oreille interne, mais aussi à l’évaluation objective de l’efficacité des médicaments.

La pépite montpelliéraine, qui emploie 45 personnes pour un chiffre d’affaires d’environ 5 M€, a par ailleurs signer un accord de licence exclusive sur option avec Shionogi pour l’exploitation de CIL001 et CIL003. Outre les 15 M€ déjà reçus, Cilcare pourrait à terme recevoir jusqu’à 400 M€ au fur et à mesure du développement et de la commercialisation de ces deux candidats médicaments. Il faudra en effet patienter quelques années de plus pour voir arriver ces produits sur le marché. « C’est au minimum trois ans supplémentaires », précise Celia Belline qui s’apprête à lancer deux nouveaux programmes de développement fondés sur de nouvelles molécules pour traiter d’autres pathologies auditives.