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Fabrice Le Saché : « Il y a de vrais risques de blocage sur les réformes »

Economie. Vice-président et porte-parole du Medef, Fabrice Le Saché vient à la rencontre des adhérents marnais du mouvement patronal le 12 juillet pour évoquer avec eux les sujets d’actualités : inflation, emploi, salaires, retraites, transition écologique… et prendre le pouls des dirigeants marnais.

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Fabrice Le Saché, vice-président du Medef
Fabrice Le Saché, vice-président du Medef (Crédit : DR)

L’inflation pose une vraie question de pouvoir d’achat aujourd’hui. Qui a la clé, le patronat ou le gouvernement ?

Tout d’abord il n’y a pas une inflation mais des inflations. L’une d’entre elle est liée aux plans de relance qui ont eu finalement beaucoup de succès, à la suite du Covid. Beaucoup d’argent a été injecté dans l’économie, donc beaucoup d’entreprises et de consommateurs achètent, consomment et investissent au même moment, ce qui fait flamber les prix. Le geyser de financements et de relance a presque été trop efficace de ce point de vue là. Il y a aussi un phénomène de désorganisation des transports à échelle globale, avec le fret maritime qui a explosé. Après, il y a la crise énergétique liée à la situation internationale. Et de façon plus générale une crise de matériaux, des matières premières, des céréales et d’alimentation.

De façon plus structurelle il y a aussi tout ce qui concerne le prix du carbone que l’on retrouve dans tous les produits et même les services. Cette inflation ne va pas disparaître parce que l’objectif de décarbonation fait que tout ce qui est avec des composants carbonés va voir son prix augmenter. Ce qui est une bonne chose en soi puisque le signal prix c’est ce qui fait basculer les investissements vers des technologies plus propres. Sans oublier un marché du logement dans des zones très tendues : Ce n’est pas possible d’accepter que 30 à 40% du budget d’un ménage soit alloué à la dépense logement dans les métropoles.

Ces éléments cumulés posent le sujet de l’augmentation des salaires…

Le sujet de l’inflation est vaste et complexe et la réponse ne peut pas être uniquement le salaire. Les salaires ont augmenté avant la crise ukrainienne de 2% environ en moyenne et personne n’a dit à cette époque qu’ils avaient progressé plus vite que l’inflation. Aujourd’hui le marché du travail est favorable aux salariés, la demande est au bénéfice du salarié et les métiers en pénurie connaissent de fortes augmentations de salaires. Le problème aujourd’hui c’est de ne pas tomber dans une boucle salaire-prix où l’un court derrière l’autre.

On ne doit pas alimenter ça car ce qu’on donnerait d’une main serait repris de l’autre par l’inflation et tout le monde y perdrait. Pour juguler l’inflation, nous estimons par exemple que la prime défiscalisée PEPA (prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ) est un outil. On a demandé de pouvoir en verser davantage, de façon fractionnée. Il faut travailler sur la réforme du marché de l’électricité qui est très corrélé au gaz, il faut construire des logements pour les salariés dans les zones les plus tendues, il faut pouvoir investir dans le nucléaire qui est une filière décarbonée à bas coût…

Comment éviter la politique du carnet de chèques qui risque de creuser encore davantage le déficit public ?

On a un déficit qui tutoie les 3000 milliards d’euros. Au moment où les taux augmentent, les intérêts de la dette représentent le budget annuel de la Défense. A-t-on envie de mettre l’équivalent de dix porte-avions par an dans le seul remboursement des intérêts de la dette ? A-t-on les moyens de brûler dans ce remboursement le budget de l’Education nationale ? Je n’en suis pas certain. Ces sommes seraient plus utiles à autre chose, à du vrai investissement, nos services publics en ont besoin. Il y a un vrai effort à faire de la part de l’Etat sur la maîtrise des dépenses publiques, sur les réformes et sur l’efficacité de l’action publique. On en parle depuis des années déjà !

Cela permettra de faire baisser la pression fiscale sur les particuliers, les ménages et les entreprises et donc de leur redonner du pouvoir d’achat. Il faut aussi regarder ce qui compose le panier moyen des ménages. Outre le logement, au sujet du transport, par exemple, il faut prévoir le remboursement des indemnités kilométriques de façon plus simple et plus massive aux salariés. 80% des salariés utilisent leur voiture pour se rendre au travail, là non plus, on ne peut pas accepter que des salariés perdent de l’argent en venant travailler.

Certains secteurs peinent à recruter comme l’hôtellerie ou la restauration et les salaires n’y changent rien. Faut-il se résigner à voir des établissements fermer le soir ou le week-end ?

On ne peut absolument pas s’y résigner. Cela fait mal au cœur d’avoir d’un côté autant de personnes sans activité et de l’autre autant d’entreprises qui ne parviennent pas à recruter. Le problème c’est que ceux qui cherchent un emploi ne sont pas forcément dans le bassin de ceux qui recrutent. Il y a un problème de mobilité géographique, qui est aussi lié à l’histoire du logement : personne n’a envie de vendre un actif qui a été dévalué en zone rurale pour aller en métropole où il va mettre la moitié de son salaire en logement. C’est une question qui n’est pas neutre.


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Au sujet de la formation, on a eu un nombre d’apprentis record, c’est une bonne chose, mais concernant la formation continue, ça ne va toujours pas. C’est l’Etat qui décide tout alors que par essence les partenaires sociaux doivent être impliqués : ils connaissent mieux que quiconque la réalité des besoins des entreprises. On a aussi du mal à intégrer sur le marché du travail les QPV (quartiers prioritaires de la ville), où il y a pourtant une réserve de jeunesse et de dynamisme importante. Idem pour les reconversions professionnelles : il faut qu’on aille plus vite pour reprojeter des personnes dans de nouvelles filières génératrices d’emploi et de carrière. Mais il ne faut pas être trop pessimiste, les carnets de commande sont pleins, il y a une pénurie de main d’œuvre, le taux d’emploi est passé à 70 points, il y a plus de gens qui travaillent donc qui cotisent.

Redoutez-vous une forme d’immobilisme avec cette absence de majorité absolue, qui finalement pourrait nuire aux réformes ?

On a une vraie crainte sur la capacité de réforme du gouvernement actuel au cours du quinquennat à venir. Il y a de vrais risques de blocage sur les réformes. On ne sent pas une grande volonté de porter politiquement la réforme des retraites. C’est dommage parce que c’est une réforme que tous nos voisins ont fait sans que ça provoque tant de remous. La pyramide des âges est ce qu’elle est, l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé toutes catégories confondues à la retraite augmente… Il n’y a aucune raison objective tout en prenant en compte les carrières longues et difficiles de ne pas pouvoir augmenter de deux ans cet âge légal de départ à la retraite.

Surtout qu’il y a une inégalité puisque dans le secteur privé on part en retraite vers 63 ans contre 61 ans en moyenne dans le secteur public. Il faut que tout le monde fasse un effort pour assurer le financement de ces régimes, principalement ceux du secteur public, qui ont un problème structurel, et les régimes spéciaux. La retraite coûte 318 milliards d’euros, c’est la première dépense publique. Ce n’est pas un petit sujet dans un pays où la dépense publique est une des plus élevées au monde. Si on fait 35 heures par semaine en moyenne, il faut bien allonger la durée du travail pour retrouver la productivité et se remettre à niveau. Pour financer un haut niveau de protection sociale, il faut travailler.

La sobriété et la transition écologique sont deux paramètres incontournables dans la vie des entreprises. Ont-ils été accélérés par la crise ukrainienne ?

La décarbonation, c’est une opportunité, c’est aussi une obligation. On n’est pas dans la trajectoire des accords de Paris, on a des glaciers qui fondent… le réchauffement planétaire c’est un risque et un danger. Cela peut être une opportunité économique : beaucoup de nos entreprises sont leader en matière de décarbonation, c’est donc aussi un billet pour retrouver de la valeur ajoutée et exporter. Mais la transition écologique a un coût, pour les particuliers et pour les entreprises. Nous l’avons fait chiffrer : elle représente entre 30 et 60 milliards d’euros d’investissement de plus pour les entreprises.

Il y a beaucoup d’incantation autour de l’écologie, la décarbonation et la neutralité carbone mais ce sont bien les entreprises qui réalisent cette décarbonation en investissant massivement. Aujourd’hui, Total par exemple est un des groupes qui investit le plus sur le solaire, sur les carburants synthétiques, sur un nombre de procédés innovants absolument incroyables. On demande un vrai signal prix carbone de long terme, durable, stable et un champ de concurrence international qui soit loyal. On ne peut pas continuer à importer sans condition des produits qui ne respectent pas nos normes environnementales.

Nous sommes favorables à une taxe carbone européenne, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, de sorte à rétablir des conditions de concurrence loyale entre produits importés et la haute ambition environnementale que nous avons. Aujourd’hui, il y a 60% des technologies qui existent pour atteindre la neutralité carbone en 2050 mais le modèle d’affaire n’est pas encore clair pour ces technologies, il faut donc qu’on massifie pour leur trouver rapidement un modèle économique.