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L’aviation légère : premier palier pour décarboner le ciel

Aéronautique. Le secteur de l’aviation légère décarbonée est en pleine ébullition sous l’impulsion du projet Maele piloté par Aerospace Valley depuis fin 2020. Projets, problématiques, échéances ? Tour d’horizon avec Bruno Dahan, directeur délégué secteur stratégique aéronautique du pôle.

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L'aviation légère : premier palier pour décarboner le ciel
Aura Aero est un des acteurs toulousains de l’aviation décarbonée. (Crédit : AURA AERO)

Rappelez-nous en quoi consiste l’initiative Maele portée par Aerospace Valley et ses ambitions ?

« Le projet Maele (Mobilité aérienne légère et environnement responsable), né à l’initiative d’Aerospace Valley il y a deux ans, a pour ambition de fédérer les acteurs régionaux de la filière et de faire de la France, l’un des pays les plus avancés dans les technologies de l’avion propre. Ce projet, qui a permis de cartographier près de 300 entreprises dans ce domaine en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine représentant 65 compétences, vise à rassembler les entreprises innovantes, les infrastructures, des écoles, des équipementiers, etc., et à créer les ruptures technologiques de demain. Il entend également favoriser les échanges et l’émergence de projets et de compétences. Nous avons actuellement 16 projets subventionnés pour un total d’investissement de 16,5 M€ dont 8 M€ de subventions des régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. Le pôle a également participé au lancement de la nouvelle initiative du Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) dans le développement des nouvelles technologies à l’échelle nationale. »

La transformation de l’écosystème pour une aviation durable passe-telle inévitablement par l’aviation légère dans un premier temps ?

« Les technologies de décarbonation (électrique, hydrogène) commencent à atteindre un certain niveau de maturité applicable pour un certain type d’avion, à savoir l’aviation légère. Au niveau de la certification EASA CS-23 à savoir, en dessous de 19 places et maximum 8,6 tonnes, ce segment est un terrain de jeu magnifique pour accélérer la maturation des différentes technologies et ainsi impulser la transition vers les autres types d’avions. Les aspects d’ingénierie adressés dans le cadre du projet Maele ont permis de faire progresser certaines briques technologiques comme les moteurs électriques, les réservoirs hydrogène avec de nouveaux matériaux composites et polymères. Aujourd’hui, le parc aéronautique regroupe en France près de 6 000 aéronefs, et représente un marché mondial de 300 000 avions légers, sachant que les avions dotés de moteurs à piston ont une moyenne d’âge qui oscille entre 40 et 60 ans. La production d’avions légers mis sur le marché représente près de 2500 appareils par an. Si on décide, à ce rythme-là, de prendre le virage de la transition énergétique pour les décarboner, il faudrait 140 ans pour y parvenir. »

« L’objectif est d’imaginer des prototypes d’avions ambitieux dès 2026 pour des entrées en service en 2028. Il y a actuellement une émulation sur le marché mondial, de nombreux acteurs se bousculent. Notre ambition est également de regagner sur ce segment notre place de leadership, que nous avons perdu dans les années 70 face au marché américain, ou du moins, être dans le groupe de tête. Pour ce faire, nous devons unir nos forces. J’aime d’ailleurs reprendre les mots d’un des cofondateurs de l’entreprise H3 Dynamics, qui est spécialisée dans les vols autonomes et de propulsion électrique-hydrogène : « La concurrence est rude, les talents sont très élevés, il faut accélérer et chasser en meute ». Tout est dit. »

Pouvez-vous nous citer quelques exemples de projets en cours et les problématiques qui restent à résoudre ?

« Il y a en effet plusieurs projets sur lesquels planchent les entreprises régionales. Notamment des projets relatifs à l’hydrogène avec de nouveaux types de pile à combustible plus légère, qui peuvent servir de source d’énergie pour la propulsion d’un avion. Car une équation est encore difficile à résoudre : une batterie peut difficilement offrir la puissance nécessaire à un décollage, parce qu’elle ajoute trop de poids aux engins d’où le développement, en parallèle, d’aéronefs à atterrissage et décollage verticaux. D’autres projets concernent le développement de nouvelles structures de bobinage des moteurs électriques. Plus il y a de l’intensité, plus il faut que les câbles soient épais et lourds. Or, le grand ennemi de l’avion, c’est la masse. Nous sommes confrontés à une problématique de haute tension avec de nouveaux enjeux qui se profilent. »

Bruno Dahan
Bruno Dahan, directeur délégué secteur stratégique aéronautique du pôle Aerospace Valley. (Crédit : DR)

« Les équipes travaillent sur une chaîne propulsive électrique avec bobinage haute performance. Les autres aspects sur lesquels le secteur doit se pencher sont, notamment, les nouvelles technologies dans l’assistance au pilotage pour faciliter la gestion de l’hybridation de l’énergie à savoir un moteur électrique et thermique. L’objectif est de développer une avionique embarquée intelligente pour soulager le pilote. C’est un enjeu très important pour les nouveaux aéronefs. Par ailleurs, le marché américain propose des fonctionnalités de plus en plus innovantes qui montent en puissance. Nous devons aussi apporter une réponse. Autre point à aborder : l’analyse du comportement dynamique. Les moteurs électriques font apparaître de nouveaux enjeux sur le comportement aérodynamique. »


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« Nous aimerions que les équipementiers et les laboratoires participent à l’élaboration de modèles d’hélices pour des avions électriques silencieux. Pour l’heure, la société lyonnaise, membre d’Aerospace Valley, Duc Hélices, spécialisée dans la conception et la fabrication d’hélices et rotors en composites carbones, fait face à deux géants mondiaux, américains et allemands. Enfin, les bancs de test constituent un point clé pour l’émergence de nouvelles technologies de décarbonation. Ils sont nécessaires pour permettre des démonstrations de faisabilité et mettre au point des liens de conformité en vue de la certification. Ces démonstrations doivent aider les autorités à poser un cadre référentiel pour la certification. »

Quel est le projet qui a nécessité, pour l’heure, le plus de subventions ?

« Le projet qui a nécessité le plus d’investissements est celui de la start-up toulousaine Ascendance Flight Technologies qui développe un avion hybride à décollage vertical. L’investissement est consacré au développement d’un banc de test pour gérer la puissance nécessaire, la gestion de l’hybridation et la partie haute tension. »

Pouvez-vous nous parler du projet bi-régional « Régiona’LH2 » relatif au système de stockage de l’hydrogène, autre grand défi pour décarboner l’aviation ?

« Le système de stockage de l’hydrogène est en effet un défi crucial. De fait, les acteurs tels que H2Pulse, qui accélère le déploiement de solutions hydrogène, le bureau d’études CMP Composites, ainsi que l’entreprise Fact, spécialisée dans la conception et la fabrication d’équipements électrohydrauliques planchent sur la conception de réservoirs utilisant de nouveaux matériaux composites et polymères capables de stocker de l’hydrogène à l’état gazeux compressé à 700 bars, ou pour plus d’autonomie, à l’état liquide, ce qui requiert le recours à la cryogénie à -270°C. »

« Faire de la France, l’un des pays les plus avancés dans les technologies de l’avion propre. »

« CMP Composites se charge de la réalisation de prototypes et des essais thermiques et mécaniques, avec pour l’heure une validation thermique à -196 °C et mécanique à 60 bars. H2pulse fabrique, entre autres, un banc d’essai de test cryogénique de modélisation de changement de phase et de système d’alimentation de pile à combustible. L’entreprise Fact, de son côté, développe une vanne de régulation de débit haute précision. L’objectif est d’alimenter le réservoir et la chaîne propulsive à hydrogène de façon à contrôler l’ensemble du processus. Cela constitue un des projets essentiels de la troisième phase de Maele. En effet, l’hydrogène représente une énergie décarbonée avec un rendement énergétique important (2,8 fois celui du kérosène). Sa forme liquide aurait l’avantage d’apporter une densité de stockage optimale et aussi plus de sécurité. »

Quelles sont les perspectives pour la troisième phase du projet Maele ?

Ascendance Flight Technologies
Ascendance Flight Technologies est un autre fleuron de l’aviation décarbonée en Occitanie. (Crédit : ASCENDANCE FLIGHT TECHNOLOGIES)

« Maele 2023 mettra l’accent sur la qualité des projets proposés et des consortiums. Nous chercherons les thèmes qui ont besoin de se renforcer pour bénéficier à la globalité de l’écosystème de la décarbonation de l’aérien. Fort de sa dynamique et de son succès, Maele s’adressera entre autres aux équipementiers qui font la richesse de la supply chain aéronautique en Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. »

Qu’est-ce qui pourrait représenter un frein à la mise sur le marché fixée à 2026 ?

« Il existe trois principales menaces. En premier lieu, la difficulté à trouver désormais des financements privés, avec pour corollaire le passage à l’industrialisation et ainsi la capacité à répondre à la demande. Cette étape nécessite en effet une force de frappe difficile à trouver. Nous devons aussi nous attacher à renforcer notre positionnement avec l’émergence de compétences et, de fait, conserver les talents pour répondre aux différents enjeux. »

Vous êtes partenaire du techno campus hydrogène à Francazal. Quel est votre champ d’action ?

« Notre action, en tant que pôle de compétitivité est de s’assurer que les besoins de ses membres seront correctement pris en compte, d’aider Christophe Turpin, à l’initiative du projet, à identifier les spécificités des nouveaux avionneurs et ainsi faire le lien entre cette formidable initiative et l’écosystème aéronautique du grand Sud-Ouest. Ce techno campus a un triple objectif : accompagner les entreprises dans la réalisation de leurs essais, proposer aux laboratoires un espace expérimental et former aux technologies hydrogène. Le budget s’élève ainsi à 55 M€ dont 35 M€ pour les infrastructures et 20 M€ pour les moyens de tests appartenant aux quatre laboratoires impliqués. »

Quel est votre mot d’ordre pour l’année qui s’annonce ?

« L’année 2023 est l’année charnière entre la phase de décollage de l’aviation décarbonée et l’arrivée des prototypes, des cadres réglementaires et le début de l’industrialisation des solutions. Le mot d’ordre pour l’année 2023 pourrait être : « Faire de ses rêves une réalité. »