RSE : les auditeurs légaux aux côtés des entreprises
RSE. Mesurer l’impact des politiques RSE des entreprises – et lutter contre le greenwashing – tel est l’enjeu de la directive CSRD qui devrait concerner près de 50 000 entreprises en Europe. Les explications de Laure Mulin, présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes.
Une nouvelle directive dite CSRD sur le reporting en matière de durabilité des entreprises vient d’être adoptée par le parlement européen. Dans quel contexte intervient-elle ?
Depuis plusieurs années, les grandes entreprises et les sociétés cotées doivent publier des informations extra-financières, via ce qu’on appelle en France une déclaration de performance extra-financière. Il s’agissait en l’occurrence de la transposition de la directive européenne NFRD (Non financial reporting directive, adoptée en 2014 et révisée en 2016, NDLR) laquelle donnait l’option aux États membres de décider de faire vérifier ces rapports RSE extra-financiers. À l’époque, la France avait opté pour la vérification obligatoire par un organisme tiers indépendant (OTI) accrédité par le Cofrac. Près d’une trentaine d’OTI ont été accrédités dont 90% sont des cabinets de commissariat aux comptes, aux côtés de Socotec et de Bureau Veritas. La vérification des données extra-financières était donc déjà dans notre champ d’intervention par ce biais-là.
Cette directive européenne vient d’être révisée par la directive CSRD (Corporate sustainability reporting directive). On ne parle plus désormais de sujets non financiers mais de durabilité. En conséquence, le contenu évolue de manière assez significative. Auparavant, le rapport était centré principalement sur la responsabilité sociétale des entreprises, le social et l’environnemental, alors que le nouveau rapport de durabilité intègre désormais la notion de gouvernance. Cette nouvelle directive impose également la vérification de ces informations par un auditeur légal. Ce qui change pas mal de chose : elle vise en effet spécifiquement un auditeur légal. Reste à savoir cependant ce que décidera le gouvernement français à cet égard, soit qu’il réservera cette mission uniquement à l’auditeur légal soit qu’il l’ouvrira à d’autres organismes par le biais d’une accréditation par le Cofrac.
Qu’est ce que cette directive CSRD change pour les commissaires aux comptes ?
Cela représente une extension significative de notre sphère d’intervention, notamment parce que cette directive élargit son champ d’application. Jusqu’à maintenant étaient concernées les sociétés cotées et les grandes entreprises qui dépassaient un seuil de 500 salariés au niveau consolidé et 100 M€ de total bilan ou de chiffre d’affaires. Par ailleurs, seules les sociétés anonymes entraient dans le champ de la directive. Or, aujourd’hui on trouve de nombreuses SAS à la tête de groupes qui dépassent ces seuils, lesquelles, du coup, ne sont pas soumises à cette obligation de publication et de vérification. La directive CSRD concerne désormais toutes les sociétés commerciales qui dépassent deux des trois seuils suivants : 250 salariés, 20 M€ de total bilan et 40 M€ de chiffre d’affaires. On estime, au niveau européen, que 50 000 entreprises seront concernées contre 11 700 auparavant.
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En France, jusque-là, toutes les sociétés concernées n’établissaient pas la déclaration de performance extra-financière (DPEF) et ne procédaient pas à la désignation d’un OTI, tout simplement parce qu’il n’y avait pas de sanction à la clé. La seule véritable sanction se résumait à l’impact sur l’image de l’entreprise. Avec la directive CSRD, on ne sait pas très bien comment cela va se traduire. Mais vu le contexte, avec les objectifs de neutralité carbone forts fixés par la Commission européenne, et le fait que le gouvernement français est assez proactif sur le sujet, on ne pourra s’assurer que ces objectifs sont tenus que si on dispose d’informations sur les actions menées par les entreprises et sur les résultats obtenus. Or, l’intérêt de ces rapports de durabilité est justement de disposer d’informations fiables sur les politiques mises en oeuvre. Et les indicateurs qui seront produits permettront de savoir si la trajectoire est la bonne pour aller vers la neutralité carbone en 2050.
À quelle échéance la nouvelle directive doit-elle entrer en application ?
L’application de la directive se fera de manière progressive. Ainsi, les sociétés cotées déjà soumises à l’obligation de publier une DPEF seront concernées dès l’exercice 2024 pour une publication en 2025. La CSRD s’appliquera ensuite de façon plus élargie aux grandes entreprises, qui aujourd’hui ne sont pas dans l’obligation de publier des informations non financières, dès l’exercice 2025 pour une publication en 2026. Mais vu le contenu de ce futur rapport de durabilité, pour les entreprises entrant dans le champ, il sera nécessaire d’anticiper. Cela signifie un important volet communication à transmettre à nos clients. On s’y attelle.
Sur quoi va porter précisément cette communication ?
De fait, la nouvelle directive introduit deux changements importants. La CSRD indique en effet que des normes de rapport de durabilité doivent être établies par l’Efrag, groupe consultatif européen sur l’information financière. Ce dernier vient de publier 12 normes dites « ESRS », alors qu’auparavant on ne disposait d’aucun référentiel. Du coup, chaque société avait le sien. Désormais, un cadre assez lourd est imposé qui comprend un grand nombre d’indicateurs, 82 au total. Cela signifie que le rapport de durabilité va nécessiter un gros travail d’anticipation. En parallèle, le règlement européen Taxonomie (adopté en 2020, il vise à classer les activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement en vue d’orienter les investissements vers les activités durables, NDLR) édicte, lui, que toutes les entreprises qui sont dans le champ de la directive doivent rapporter sur trois ratios principaux : le pourcentage du chiffre d’affaires, le pourcentage des dépenses d’investissement et le pourcentage des charges d’exploitation, orientés vers les activités durables.
Ces éléments seront également intégrés dans le rapport de durabilité. C’est une manière d’interconnecter le financier et l’extra-financier. Mais là aussi les entreprises devront anticiper puisque c’est une autre façon d’organiser son processus comptable. Par ailleurs, les entreprises vont devoir reporter sur le champ de leurs activités propres, mais également sur les activités amont et aval, notamment pour ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre et les consommations d’énergie. Ce qui signifie que par capillarité, toutes les entreprises vont être concernées, y compris les PME qui fournissent des produits ou services aux grands donneurs d’ordre. Leurs clients vont leur demander : quelles sont vos émissions de GES ? quelles actions mettez-vous en oeuvre pour les réduire ? etc.
Le commissaire aux comptes ne vérifiera pas ces données, mais pourra accompagner ces entreprises via une attestation sur les informations produites auprès de leurs donneurs d’ordre ou de leurs partenaires financiers. Les banques et les fonds d’investissement doivent, en effet, eux-mêmes rendre compte sur ces sujets : les premiers sur la part des crédits accordés, orientés vers des activités durables et les seconds sur la part de leurs portefeuilles de participations ainsi orientées. Ces acteurs auront besoin d’informations fiabilisées. Certaines banques sollicitent, du reste, déjà des attestations de ce genre pour s’assurer de la fiabilité des informations qui leur sont remontées.
De quelle manière les commissaires aux comptes vont-ils pouvoir accompagner les entreprises ?
Au-delà de cette mission de vérification du rapport de durabilité que l’on vient d’évoquer, et outre cette faculté d’établir des attestations pour assurer la sécurité de certaines informations, les commissaires aux comptes peuvent également proposer un diagnostic RSE ou ESG. Il s’agit d’identifier quels sont les principaux enjeux pour les entreprises concernant les thématiques environnementale, sociale et de gouvernance ; identifier quelles sont les actions mises en oeuvre d’ores et déjà, car beaucoup de PME font déjà des choses sans avoir une vision structurée. L’idée est de prioriser leurs actions pour s’améliorer. Ce diagnostic permet donc à la fois de déterminer les enjeux et le niveau de maturité de l’entreprise pour déterminer le plan d’action à mettre en oeuvre, formuler des recommandations et, pourquoi pas ? suggérer des indicateurs à suivre pour que l’entreprise puisse s’inscrire dans un processus d’amélioration continue et puisse également anticiper toute demande de ses parties prenantes.