IA, cité judiciaire, JIRS... le Barreau de Toulouse fait le point
Interview. Élus bâtonnière et vice-bâtonnier à l’occasion d’un scrutin qui s’est déroulé le 17 juin 2024, Me Sophie Coq et Me Sylvain Laspalles ont pris officiellement leurs fonctions le 1er janvier dernier, pour un mandat de deux ans. Dans le cadre de leur campagne, les deux élus ont formulé une soixantaine de propositions pour améliorer les conditions d’exercice des avocats toulousains. Ils ont accepté de revenir en détail sur plusieurs d’entre elles, et plus largement sur leur nouveau rôle.

En France, les barreaux d’avocats régulent et organisent la profession d’avocat dans leur juridiction. Ils s’assurent notamment que tous les avocats respectent la déontologie de la profession. Chaque barreau est représenté par un bâtonnier. Élu par ses confrères, il est chargé de faire respecter la discipline dans son barreau.
Dans la Ville rose, c’est un duo qui endosse cette responsabilité pour un mandat de deux ans. Depuis le 1er janvier 2025, un nouveau binôme a pris ses quartiers 13 rue des Fleurs dans les locaux du Barreau de Toulouse. Élus bâtonnière et vice-bâtonnier avec 64,8 % des suffrages exprimés, à l’occasion d’un scrutin qui s’est déroulé le 17 juin 2024, Me Sophie Coq et Me Sylvain Laspalles succèdent à Me Caroline Marty-Daudibertières et Me Thomas Neckebroeck.
Avant de parler des sujets de fond, que représente pour vous cette nomination ?
Me Sophie Coq : « Je suis engagée dans le collectif professionnel depuis de nombreuses années. Membre du conseil de l’ordre de 2009 à 2014 et depuis 2020, j’ai également été directrice des études de l’École des avocats Sud-Ouest Pyrénées (Edasop). J’ai donc envie de dire qu’avec cette élection c’est un engagement qui se poursuit. Je suis bien sûr très fière tout en prenant la mesure de la tâche qui est désormais la nôtre. Il faut en effet honorer cette confiance qui nous a été accordée. »
Me Sylvain Laspalles : « C’est également la poursuite d’un engagement puisque j’ai effectué plusieurs mandats au sein du conseil de l’ordre. Membre de 2011 à 2016 et depuis 2022, j’interviens par ailleurs dans la formation initiale des jeunes confrères à l’Edasop depuis 10 ans. Donc oui, je suis reconnaissant professionnellement de la confiance qui nous a été accordée. »
Comment appréhendez-vous votre rôle ?
Me Sophie Coq : « C’est en premier un rôle de protection, d’accompagnement, de conseil, de médiation et de soutien auprès de nos confrères avocats. Ensuite, nous avons un rôle de représentation de la profession auprès de l’ensemble des institutions. Enfin, nous avons aussi pour mission de rappeler à nos concitoyens, peut-être aujourd’hui plus que jamais, à quel point l’avocat est essentiel dans notre société. Sans avocat il n’y a pas de justice, sans justice il n’y a pas d’État de droit et sans État de droit il n’y a pas de démocratie. »
Me Sylvain Laspalles : « Il y a en effet vraiment un travail à faire sur le “réflexe” avocat. Rappeler que le droit ce n’est pas que le pénaliste, le plaideur. C’est aussi l’amiable, le conseil, la vie des entreprises… l’avocat a beaucoup de missions. Il est partout en vérité. »
Enjeux et défis de l’IA pour les avocats
Parmi vos propositions de campagne, il y avait la création d’une commission ouverte sur la place de l’intelligence artificielle dans la profession. Son utilisation est-elle déjà répandue ? Et plus largement, l’intégration de l’IA dans les métiers du droit est-elle une chance ou une menace ?
Me Sophie Coq : « L’IA s’est aujourd’hui imposée comme une technologie incontournable. Notre profession va donc forcément être impactée par ces nouvelles technologies, si ce n’est pas déjà fait. Notre rôle est de voir comment nous pouvons accompagner nos confrères dans cette révolution, notamment en matière de formation. Un point très important pour savoir comment et quand utiliser les IA génératives. Quels outils peuvent être utilisés avec toutes les contraintes qui sont les nôtres en termes de secret professionnel par exemple. La commission, qui est déjà au travail, est justement en charge de mener une réflexion sur le sujet pour proposer des solutions concrètes. »
Me Sylvain Laspalles : « Par ailleurs pour répondre à votre question, si certains avocats ont d’ores et déjà commencé à intégrer de l’intelligence artificielle dans leur pratique, ils utilisent pour l’heure des outils dits grand public. Mais les éditeurs sont en train de s’y mettre et de nous contacter, à l’image de GenIA-L, un modèle d’IA générative dédié aux professionnels du droit et du chiffre lancé par le groupe Lefebvre Dalloz. Ces éditeurs sont d’ailleurs reçus par les membres de la commission. »
Autre sujet, autre enjeu d’importance, le projet de cité judiciaire dans les murs de l’ancienne prison Saint-Michel qui doit normalement conduire à l’implantation d’une partie du tribunal judiciaire et des services administratifs de la direction interrégionale des services pénitentiaires. Comme vos prédécesseurs, vous demandez à être associés aux discussions de développement de ce chantier. Avez-vous été entendus ? Cette future cité est-elle attendue par la profession ?
Me Sophie Coq : « Nous avons effectivement le souhait d’être associés aux discussions. Cela fait d’ailleurs partie des dossiers sur lesquels nous allons échanger avec nos alter égo institutionnels dans les semaines qui viennent. Nous le savons, cette cité judiciaire ne pourra pas réunir l’ensemble des juridictions. Nous souhaitons donc être informés sur les services qui vont être “transférés” là-bas. C’est important pour nous de donner des informations en temps réel à nos confrères sur leur devenir. »
Me Sylvain Laspalles : « Cette cité judiciaire est attendue, notamment par les magistrats, car nous sommes à l’étroit. Aujourd’hui le Palais de Justice pousse les murs, or ils ne sont pas extensibles à l’infini. Cela a des conséquences sur les conditions de travail. Par ailleurs, nous réclamons depuis longtemps la création d’une juridiction interrégionale spécialisée en matière pénale notamment. Si cela se concrétise, cela voudra dire de nouveaux juges, de nouveaux greffiers et par conséquent de nouveaux cabinets, bureaux… Il faudra bien leur trouver de la place. »
Pourquoi réclamez-vous la création d’une juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) [1] à Toulouse, qui serait la neuvième en France après Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort-de-France ?
Me Sylvain Laspalles : « C’est une demande qui est portée depuis de nombreuses années, et pas seulement par les avocats mais aussi par le maire et des députés. Pourquoi ? Pour pouvoir lutter plus efficacement contre la délinquance organisée, le narco-trafic, etc. Cela demande des moyens conséquents, à savoir : des forces de police, des personnes pour instruire et juger les affaires. Les JIRS disposent justement de moyens techniques renforcés. Elles peuvent donc mener à bien leurs enquêtes. Voilà pourquoi les affaires partent aujourd’hui à Bordeaux. La création d’une JIRS à Toulouse permettrait une réponse plus adéquate et aussi plus rapide. »
Justice : un budget 2025 en hausse
Pendant votre mandat, vous souhaitez également poursuivre le travail mener sur la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Si le défi n’est pas propre à la profession d’avocat, qu’est-ce qui le rend encore aujourd’hui difficile ?
Me Sophie Coq : « Exercer en libéral est très exigeant, il faut le vivre pour le comprendre et en prendre toute la mesure. Notamment en termes d’amplitude horaire de travail pour ceux qui font du pénal par exemple avec des audiences qui finissent très tard, parfois après 23 heures. Donc quand on est parents, c’est compliqué. Après, et c’est une bonne chose, la nouvelle génération est très engagée sur ce sujet. La commission Jeune Barreau, qui regroupe des avocats élus sur les cinq premières années d’exercice, est d’ailleurs en charge d’une enquête sur la parentalité pour mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle. Autre volet, l’attention portée aux risques psycho-sociaux que notre profession induit. Des chantiers ont bien sûr déjà été menés mais il faut poursuivre les efforts. Parmi les actions mises en place, les services d’une coach sociale rattachée au barreau. Cette professionnelle peut être saisie par les confrères pour leur apporter des réponses à des problématiques qu’ils peuvent rencontrer. »
Me Sylvain Laspalles : « Ce sont des enjeux d’autant plus importants qu’avec les nouvelles technologies, la frontière n’existe plus, aggravant la situation. Or, et cela vaut pour tous les métiers, c’est vraiment essentiel de pouvoir déconnecter. »
Enfin, le ministère de la Justice est l’un des rares épargnés par la cure d’austérité dans le budget de l’État pour 2025. Il s’est vu attribuer des crédits de paiement pour un montant de 12,6 Mds€. C’est 224 M€ de plus que sous le gouvernement Barnier à l’automne. Cette nouvelle enveloppe doit permettre de financer 1 600 recrutements supplémentaires sur un an. De quoi vous réjouir ?
Me Sophie Coq : « On part de tellement loin que oui c’est plutôt une bonne nouvelle (rire). Après il faut que les efforts se poursuivent et s’accentuent si l’on veut que notre justice soit à la hauteur de ce que les justiciables sont en droit d’en attendre. Car aujourd’hui, la réalité c’est qu’il y a un manque criant de magistrats et de greffiers pour que la juridiction toulousaine puisse fonctionner de manière effective, avec des délais moyens de procédure acceptables. »
Me Sylvain Laspalles : « Le signal est bon bien évidemment mais ce n’est pas suffisant. D’autant plus que c’est un gros ministère qui a de nombreuses attributions. Il est en effet aussi responsable des établissements et services pénitentiaires et des établissements et services de la protection judiciaire de la jeunesse. Tous ayant des attentes et besoins légitimes. »
[1] Créées en 2004, les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction et sont spécialisées en matière de criminalité organisée, de délinquance financière mais aussi pour les affaires où la complexité justifie des investigations importantes (meurtre commis en bande organisée, blanchiment, crimes aggravés d’extorsion…). Elles bénéficient de dispositifs novateurs en matière d’enquête : infiltrations, sonorisations, équipes communes d’enquête entre plusieurs pays...