Cécile Hernandez
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Cécile Hernandez

Une boulimique de la vie

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Cécile Hernandez - Championne - Handicap - Sport - Portrait
Cécile Hernandez, submergée par l’émotion, avec sa médaille d’or lors des derniers Jeux Paralympiques de Beijing en 2022. (Crédit : DR).

Si le sport forge l’esprit de combativité, le goût de l’effort est sans conteste le fil rouge de la vie de Cécile Hernandez. Bercée par le culte de la performance depuis son enfance, aujourd’hui médaillée d’or paralympique 2022 de snowboard cross, elle a reçu le diagnostic de la sclérose en plaques – maladie neurologique dégénérative du système nerveux central –, comme un couperet à 28 ans. La jeune femme, ambitieuse et carriériste, déjà couronnée de succès, ne vit alors que pour le plaisir de la compétition (BMX, tennis, snowboard) depuis son premier contrat de sponsoring en BMX à 11 ans, après avoir chaussé les skis à deux ans.

« On n’a rien sans rien », martèle la championne qui a même créé un hashtag sur les réseaux sociaux. Illustration parfaite d’une femme qui n’abandonne pas puisqu’elle a dû se battre pour participer aux derniers jeux. Pourtant, en mai 2021, le Comité International Paralympique (IPC) lui annonce qu’elle ne serait pas du voyage. « J’avais mes points pour me qualifier pour les jeux, seulement le comité olympique avait mis en place de nouvelles catégories, supprimant la mienne. J’ai donc fait la demande pour accéder à une autre catégorie. Ma demande a suscité moult turbulences. La fédération n’a pas voulu me suivre, préférant sacrifier une athlète mais pas une délégation. Cela a entraîné des procès, des réponses contraires d’un jour à l’autre, etc. Cela a été très difficile mentalement car je tenais vraiment à y participer », explique la sportive de haut niveau qui finalement décroche son ticket le 18 février pour la Chine, ses troisièmes jeux paralympiques, soit seulement deux semaines avant la cérémonie d’ouverture.

Une issue heureuse à cet imbroglio sportif et juridique, véritable ascenseur émotionnel. « Je me suis préparée en dépit des décisions. J’ai sacrifié tellement pour aller chercher le podium. Heureusement, mon partenaire, pilier gauche au rugby et pilier dans ma vie, m’a répété “tu crois que tes concurrentes ne s’entraînent pas pendant que toi, tu pleures ?” », sourit-elle après l’aboutissement d’un long combat.

UNE RÉSILIENCE A TOUTE ÉPREUVE

Une résilience, une abnégation et un courage à toute épreuve qu’elle aime partager à travers les réseaux, des conférences, des actions qu’elle mène, notamment sous sa casquette de porte-parole de l’entreprise mutualiste à mission engagée, Harmonie Mutuelle. « Aujourd’hui, je suis heureuse d’être ambassadrice et de parler de mon handicap. Je m’adresse aussi à des entreprises sur les thèmes de la résilience, de la motivation, de la faculté à rebondir, etc. L’acceptation du handicap est un chemin de deuil, de colère, de déni, d’acceptation et d’adaptation pour se reconstruire. J’espère aussi que ma médaille va permettre de porter un regard différent, d’évoluer sur la question du handicap invisible. »

Il l’a contrainte à mettre une croix sur le sport pendant plus d’une décennie… Désespérer, puis s’accrocher, surmonter cette épreuve de la vie et se réinventer, c’est ce combat que raconte Cécile Hernandez dans ses deux ouvrages La guerre des nerfs, paru en 2008 et Qu’est-ce qu’elle a fait maman ? en 2009, aux éditions du Rocher. « Ce fut une écriture thérapeutique. J’ai été officiellement diagnostiquée en 2002, mais tout a commencé en 2000. J’ai eu des troubles moteurs et j’ai perdu la vue. J’étais dans l’errance au moment où la maladie m’a paralysée. Je me souviens qu’après le diagnostic, une psychologue m’a tendu un fascicule en me disant avec une extrême violence : “je vous présente votre nouvelle vie ”. » Pendant plusieurs mois, Cécile Hernandez vit un cauchemar éveillé, dont elle s’extrait en posant des mots sur les maux.

« Je me suis réfugiée dans l’écriture, j’ai couché sur le papier tout ce que je vivais mal. À l’époque, je n’avais pas de modèle, rien à quoi me raccrocher. Je me suis au final auto investie pour être un espoir pour les autres. À ce moment-là, l’homme qui partageait ma vie, le père de ma fille, me disait : “écris bien, peut-être que le livre sera publié et servira à d’autres ”. Je l’ai d’abord écrit à la troisième personne, puis des éditeurs m’ont demandé de le reprendre à la première personne. Cela m’a aidé à voir tout ce que j’avais accompli. Cela faisait quatre ans que je vivais avec la maladie, j’étais de nouveau autonome, j’étais enceinte. D’ailleurs, on m’a demandé d’ajouter le chapitre sur ma grossesse », se souvient-elle. Le deuxième livre est, quant à lui, une lettre ouverte sur l’handi-parentalité. Treize ans plus tard, un troisième est en préparation mettant en lumière le dépassement de soi et la notion du 110%. « C’est la petite marche qui permet d’aller encore plus loin. J’explique les hauts et les bas qui caractérisent la vie, la petite graine du courage qui se forge et se cultive, et le fait de trouver un but qui nous anime. »

UNE RENCONTRE QUI PROVOQUE UN DÉCLIC

L’hiver 2012, alors que certains médecins lui prédisaient le pire, elle marche à nouveau avec une canne. « J’ai très mal vécu mes 16 mois de séjours hospitaliers et en centre de rééducation. Puis, j’ai rencontré un kiné qui m’a aidé dans mon combat vers l’autonomie. Alors que je ne marchais plus, n’arrivais pas à déglutir, etc., il m’a dit : “dans quatre mois, vous remarcherez”. Face à mon interrogation quelque temps après, il m’a répondu dans des mots très cavaliers : “c’est ton caractère de merde, ton caractère de hargneuse, je l’ai vu de suite que tu ne voulais pas laisser ta belle vie à ton handicap” ». Cécile Hernandez concède aussi que la maladie « te fait devenir plus humble. Moi, qui auparavant étais superficielle, désirais toujours la voiture et le téléphone dernier cri, je me revois monter avec mes cannes, conduire une vieille twingo, me regarder dans les vitrines des magasins au volant et me surprendre à me trouver “classe”. La maladie a ce pouvoir de faire relativiser sur les choses de la vie. Mon échelle de valeur a changé. Avant, j’étais ambitieuse et là, ma réalité était de faire un pas après l’autre. »

« J’ai arrêté d’être journaliste pour ne faire que du snowboard. »

Il faudra du temps à Cécile Hernandez pour « mettre un peu de gris, de rose et de bleu dans ma vie. » Elle laisse derrière elle sa carrière de sportive et son entreprise d’événementiel dans le sport pour devenir journaliste, responsable de la rubrique handisport au Figaro. Une manière de rester en contact avec sa passion. La naissance de sa fille en 2007 est un autre combat face à la maladie, elle, qui initialement, n’avait pas de désir d’enfant. « J’étais de nouveau autonome, j’étais épanouie dans mon couple, j’avais trouvé une maison, pourquoi ne pas lancer un projet de bébé. Mais là aussi il faut se battre face au regard des gens. »

S’ensuit un autre déclic, lors d’un reportage à Valmorel, fin 2013. Elle découvre le para snowboard et retrouve les sensations de glisse. « J’étais là pour informer sur les futurs Jeux olympiques de Sotchi avec ma carte de presse. J’ai rencontré Patrice Baraterro, alias “le métronome” snowboardeur amputé d’une jambe. Cela m’a bouleversé et a été un déclic. J’ai retrouvé la piste, hésitante mais je suis arrivée au bout. » Tout s’enchaîne alors très vite après un appel de l’entraîneur de l’équipe de France. Direction le Colorado en janvier 2014 pour une coupe du Monde, la veille pour le lendemain, avec seulement trois jours pour s’entraîner. Elle rafle la 4e place, un exploit qui l’amène sur les pistes des Jeux paralympiques de Sotchi. Une médaille d’argent plus tard, elle rentre dans l’histoire du snowboard cross. Elle revient vivre dans le Sud, retrouve les reliefs de la station des Angles qui l’ont vue grandir et devenir une graine de championne. « J’ai arrêté d’être journaliste pour ne faire que du snowboard. »

Pendant la saison 2014-2015, elle signe le grand chelem en remportant toutes les étapes de la coupe du Monde et ajoute à son palmarès un Globe de cristal. Puis la saison suivante enchaîne dix victoires en coupes d’Europe et du Monde. Une belle revanche. Mais les affres de la maladie reprennent parfois le dessus et entravent ses objectifs. Sans oublier les sacrifices que cette mère de famille fait – sa fille a seulement cinq ans quand elle reprend le chemin de la compétition.

UNE VIE DE SPORTIVE

Une vie de sacrifices, c’est aussi ce qui résume le parcours de Cécile Hernandez, issue d’une famille de sportifs – un père émigrant catalan qui, arrivé en France à 16 ans, pratiquait le vélo, le tennis et a fait le Paris Dakar, une mère qui a fait de l’athlétisme à haut niveau et un grand frère qui faisait du BMX, du tennis et du rallye. Elle se découvre rapidement une passion pour le BMX, sans pour autant, affirme-t-elle « être dans l’aspiration de mon frère. Je trouvais dans cette pratique une adrénaline qui correspondait à mon caractère de garçon manqué… Des années plus tard, j’ai retrouvé les mêmes sensations dans le snowboard.  » À la question de savoir si cette vie de sportive était son choix, elle répond avec émotion. « Je me suis construite dans le souhait de ne jamais décevoir ma maman, disparue aujourd’hui. Elle s’est toujours investie, même quand mes parents ont divorcé, elle n’a pas refait sa vie de femme, elle passait ses week-ends au bord des pistes avec moi... C’est elle qui m’a donné le goût du sacrifice. »

Déterminée, la jeune fille n’a pas une vie semblable à celle de ses camarades. « Je n’ai pas eu de vie d’enfant et de jeune adulte, et c’était compliqué de jongler entre l’école, des professeurs qui ne voulaient rien entendre, même pour mon Bac de français, les compétitions, un rythme effréné. Mais ce n’était pas une option, je voulais réussir, donc c’était comme ça. On s’adapte à un planning, à partir loin de sa famille à 12 ans, à laver son linge dans une chambre d’hôtel. Ce sont des sacrifices mais aussi des ressources qui me servent en tant que maman, et que j’essaie de transmettre. » La jeune sportive aime voyager à l’autre bout du monde, retrouver son environnement. « Le sport m’a aussi apporté beaucoup de valeurs que j’ai utilisées dans les études et ma vie au quotidien : le goût de l’effort, le goût du travail, le concept de répétition, le goût des choses perfectibles, l’envie de repousser les limites, etc. » En 2014, elle se voit remettre l’insigne de chevalier de l’ordre national du Mérite, une grande fierté, symbolisant toutes ses années de galères et de succès.

Aujourd’hui, Cécile Hernandez n’a pas encore fait le tour de ses limites sportives et se découvre une autre passion, pour laquelle elle entrevoit des compétitions. Elle a, en parallèle, des projets plein la tête et un rêve absolu : diriger un club de sport féminin, lorsqu’elle aura raccroché sa carrière de sportive, sa planche de salut. En attendant, elle souhaite se lancer dans la création de société d’aide à domicile avec un concept novateur, mêlant dimension sociale, sportive et active, le tout en parallèle des JO qu’elle vise. Une autre façon de transmettre un message et de passer le flambeau.