Laure Poddevin
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Laure Poddevin

Le devoir d’être utile

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Laure Poddevin. DR

« Faire quelque chose qui ait du sens, globalement et à l’échelle de mon territoire ». C’est ainsi que Laure Poddevin définit le mieux son travail. Elle est à la tête, depuis 15 ans, de la direction régionale de Citeo, ex-Eco-Emballages. Dans ses locaux de Basso Cambo, la quinqua dirige une équipe d’une douzaine de personnes dont la mission au quotidien est de développer et financer la collecte sélective des emballages ménagers et des papiers. « Citeo a été créé en 1992 par des industriels qui mettent en marché des emballages et des papiers, industriels de l’agroalimentaire, de la grande distribution, des grands noms et plein de plus petits, soit 30000 clients, avec la mission de limiter l’impact sur l’environnement de ces emballages et de ces papiers, détaille Laure Poddevin. Pour cela, ils nous versent annuellement une contribution financière qui constitue le chiffre d’affaires de Citeo. De notre côté, nous développons toutes les solutions qui vont leur permettre de limiter l’impact des emballages et des papiers sur l’environnement. »

Dans le domaine, Citeo a acquis différentes expertises. « La première solution, et la plus évidente, c’est de limiter au maximum ces emballages et ces papiers, ce qu’on appelle l’écoconception : réduire leur poids, les rendre plus simples, les remplacer, ne pas les utiliser si ce n’est pas nécessaire, etc. La deuxième solution, et c’est ce qui est au coeur de la création des régions Citeo, c’est de mettre en place des poubelles de tri qui permettent aux habitants de séparer ces emballages et ces papiers pour qu’ils puissent être recyclés. La dernière étape est la création des filières de recyclage. Enfin, nous avons une autre mission transverse, à savoir faire évoluer les comportements pour que les citoyens adoptent les gestes de tri. »

À l’échelle de l’Occitanie, ce sont 60 M€ que Citeo reverse aux collectivités du territoire pour la mise en place des poubelles jaunes, soit à peu près 10 € par habitant et par an. Depuis 1992, après une « phase d’évangélisation » pour convaincre les maires de déployer les poubelles de tri, « nous sommes entrés dans une phase d’optimisation de la collecte sélective, qui correspond à peu près à la période où je suis arrivée à Citeo. Depuis 1992 en effet, différentes choses ont été expérimentées. Aujourd’hui, avec le recul, nous avons une expertise fine de ce qui marche ici et ailleurs. Nous avons donc un rôle essentiel de conseil des collectivités sur ce qui est le plus efficace, à la fois en termes de performance environnementale, c’est-à-dire la quantité de matières qu’on arrive à recycler, et en termes de performance économique, le combien ça coûte. »

Accompagner les collectivités

Trente ans après l’inscription de la Responsabilité Élargie du Producteur (REP) dans le code de l’environnement, « on n’est pas du tout au bout du sujet, pointe-t-elle, mais il faut reconnaître tout le chemin parcouru, il est déjà énorme ». La Clermontoise d’origine témoigne aussi de l’emballement qu’a connu le secteur. Face à l’urgence écologique et environnementale, « on est passé d’une grande loi sur les déchets tous les 10 ans, à tous les cinq ans. Aujourd’hui c’est tous les ans, explique-t-elle. La loi Agec, sortie en février 2020, a changé beaucoup de choses. Puis, un an après seulement, est arrivée la loi Climat et Résilience, qui ajoute de nouveaux objectifs à ceux, très ambitieux, qui existaient déjà. Il y a une vraie accélération. Du coup, pour nous aussi, les choses s’accélèrent, pour faire évoluer les collectivités, sans quoi on n’atteindra pas tous ensemble les objectifs réglementaires assignés, en particulier sur les plastiques. »

De fait, la tâche principale de Laure Poddevin est aujourd’hui de décliner, au niveau régional, l’extension des consignes de tri à tous les emballages plastique. Selon la loi Agec en effet, à fin 2022, tous les Français devront pouvoir trier leurs emballages plastiques dans la poubelle jaune. « Longtemps, on a demandé aux habitants de ne trier, s’agissant des plastiques, que les bouteilles et les flacons, qui composent déjà la moitié des emballages. En 2012, on a commencé à expérimenter de nouvelles consignes en demandant aux habitants de trier tous les plastiques, notamment les “poches” comme on dit ici, le pot de yaourt, la barquette de jambon, etc. Cependant, cela demande une modernisation des centres de tri. Il fallait donc étaler la mesure dans la durée. C’est ce qui a été fait de 2015 à 2022. Alors qu’au niveau national, l’an dernier, on a dépassé les 50%, en Occitanie, 62% des habitants ont un geste de tri simplifié : lorsqu’ils ont un emballage dans la main, ils ne se posent plus la question, cela va dans la poubelle jaune », détaille Laure Poddevin.

Pour gagner les 40% qui restent et être au rendez-vous des objectifs fixés par la loi, la quinqua et son équipe se font « plus insistantes dans les préconisations ». « Nous cherchons à identifier les freins pour lesquels les collectivités n’y sont pas encore. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de créer de nouveaux centres de tri plus gros – pour parvenir à un coût raisonnable –, dans une région où on a beaucoup de petits centres de tri. Il s’agit aussi de reconvertir les anciens, avec des problématiques d’emploi, pour accueillir par exemple de nouvelles filières REP comme les jouets ou les encombrants. Il faut donc penser complémentarité, peut-être mieux trier ce qui arrive en déchetterie. Bref, on accompagne les collectivités dans toutes les dimensions du sujet. »

Une expérience très riche

La directrice régionale sait qu’elle a encore des défis à relever tels que la généralisation du tri hors domicile« le fait de pouvoir trier partout tout le temps, ça ne va pas permettre de collecter d’importantes quantités, mais en instaurant une continuité du geste de tri où que l’on soit, le tri devient un réflexe » – ou la mise en place de la tarification incitative. « C’est-à-dire faire payer aux habitants en fonction des déchets qu’ils produisent. Cela a un effet très visible : une diminution de 40% de la quantité de déchets produits. Cela incite également à trier mieux, avec une augmentation de 30% de la collecte sélective. C’est le levier de demain, mais ça nécessite d’individualiser les poubelles, et qui plus est, c’est un sujet politique, ça prend entre trois et cinq ans selon les territoires. »

De beaux challenges pour celle qui reconnaît avoir bien failli passer à côté de ce poste fait presque sur mesure. Cette diplômée de l’université de technologie de Compiègne – elle est ingénieur en génie des procédés, spécialité thermique énergétique –, a en effet été recrutée en 2006 par Citeo à la suite d’un parcours qu’on pourrait qualifier de linéaire. Cette « enfant des pneus Michelin », fille d’un ingénieur des Arts et Métiers et d’une enseignante, avait auparavant passé 12 ans dans un gros bureau d’études spécialisé dans le développement durable, Trivalor Sud-Ouest, devenu Inddigo. « Le hasard a voulu que mon premier CDD de six mois concerne le recyclage des pneus ! »

Une expérience très riche, assure-t-elle. « Mais au bout de 12 ans et trois filles plus tard, j’ai eu envie de voir autre chose ! » Bien lui en a pris. Entrée chez Citeo pour « une mission transversale nationale concernant la collecte sélective en habitat collectif », deux ans plus tard, elle se voit offrir, presque sur un plateau, le poste de directrice régionale. « La personne en charge du poste repartait dans sa région, à Bordeaux, et m’a conseillé de postuler. Je crois que si elle ne l’avait pas fait, je ne me serais pas portée candidate ! Nous en avons longuement parlé. Le directeur précédent était resté de 1992 à 2006, celui-ci de 2006 à 2008. C’est comme ça qu’il m’a convaincu en me disant : “ces trains-là ne passent pas souvent dans ces structures régionales. Si ça te plaît vas-y.” Je n’ai jamais regretté d’avoir fait ce choix. »