Il collectionne les casquettes au sens propre comme au sens figuré, avec un parcours étonnant. Un esprit collectif, c’est incontestablement le fil conducteur de la vie personnelle et professionnelle de ce chef d’entreprise exigent et peu conventionnel. Ancien enseignant d’éducation physique et sportive (EPS) et préparateur physique, nourri aux codes sportifs mais aussi musicaux, il est le père d’une petite fille de six ans qui apprend déjà à manier la batterie. Avec une barbe fournie, une physionomie qui éveille la sympathie, un dress code loin du costume cravate, le quadra, à la tête aujourd’hui de deux entreprises installées à Portet-sur-Garonne, est un homme bien dans ses baskets.
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Sa dernière affaire en date, la plateforme The Guitar Division, lancée en novembre dont il tient les rênes en tant que président, avec David Mazzonetto, (le directeur général) et Anthony Colombon (responsable des ventes). La nouvelle marketplace met en avant des marques alternatives d’instruments et accessoires pour les guitaristes et bassistes. Depuis son lancement, elle réunit 60 fabricants référencés, plus de 800 produits affichés, et 500 commandes ont été expédiées à travers le globe. « Nous avons identifié 1000 marques alternatives en Europe et 300 qui peuvent rentrer dans le cadre de notre plateforme sur la base des critères de qualité, de singularité et de capacité à produire en mini-série. Nous sommes également dans une phase importante de levée de fonds pour accélérer le développement du projet The Guitar Division et asseoir son modèle économique innovant. Notre objectif est de prendre entre 3 et 5 % de part de marché en Europe d’ici trois ans ».
UN PASSIONNÉ
Rendre visible et booster la notoriété de marques de qualité inconnues du grand public, tout en alliant ventes digitales et physiques – une trentaine de magasins en France labélisés pourront accéder au catalogue dès la rentrée – telle est l’ambition de ce mordu de guitare, lui-même fabricant et designer d’amplis, de baffles et de pédales pour guitares et basses de haut vol estampillés Dewitte Wired depuis 2012. « C’est plus facile pour moi de discuter avec les marques, car The Guitar Division est née des problématiques que rencontrent les petits fabricants et j’en suis un. L’objectif est de lutter contre le monde impitoyable de la vente d’instruments de musique entre les grands faiseurs qui fabriquent en quantité en Chine et les marques historiques. Il faut savoir que le marché mondial de la guitare est estimé à 7 Mds€ ! », pointe Nicolas Dewitte, qui jongle entre la création et le développement d’un côté et les relations publiques et l’intégration des marques de l’autre.
« Tous les jours, je pousse mon tas de sable, mais je n’attends jamais de me faner dans un projet. »
The Guitar Division est ainsi l’aboutissement de deux passions entremêlées, couplé à une envie d’accompagner une communauté de builders vers le succès. « J’ai commencé à fabriquer dans mon garage et puis je me suis intéressé à l’électronique, au son. En 2004, lorsque je suis arrivé à Paris pour mon travail d’enseignant, je fabriquais déjà des baffles, j’étais guitariste et je faisais un peu d’ébénisterie. Puis, j’ai rencontré Stéphane Pointeau, qui, au départ, modifiait mes amplis. Quand j’ai vu ce qu’il était capable de faire d’un point de vue électronique, ça m’a convaincu. On s’est concentré sur la colonne vertébrale du son, sur les pédales et ensuite les amplis », se souvient-il.
LA TRANSMISSION DE SES PASSIONS : LA GUITARE…
Au bout de quelques années de tâtonnement et un retour à Toulouse, Nicolas Dewitte lance sa propre marque. « Le jour où j’ai mis mon logo, j’ai eu envie de pousser cette volonté d’entreprendre que j’ai toujours eu au fond de moi. J’ai créé une nouvelle architecture, des circuits qui n’étaient pas des copies de ce qui existaient déjà sur le marché, ce qui confère à ma marque une identité sonore singulière. Je privilégie une approche directe du son avec des amplis à lampes réactifs et dynamiques mais aussi des préamplis format pédale dans la même veine afin de retranscrire fidèlement l’attaque du jeu du musicien. » Le fabricant, qui développe en parallèle un meuble multimédia imposant, en collaboration avec La maison du haut-parleur, destiné à de la série en 2022, entend néanmoins conserver sa structure à taille humaine.
« Je n’ai pas de salariés mais je collabore étroitement avec le bureau d’études Spherel et des sociétés de sous-traitance électronique de pointe comme Aria et Utopia Electronic. Mes sous-traitants sont locaux, c’est important pour moi, souligne-t-il. Je réalise 10 pièces d’exception numérotées de mon modèle phare par an, et je ne souhaite pas grossir davantage car je tiens à garder du temps pour le design, la création, le développement . » Le créateur aime aussi à rappeler le mot d’Henri Ford : « Les gens peuvent choisir n’importe quelle couleur pour la Ford T, du moment que c’est noir », autrement dit le client doit s’en remettre au talent de ce touche-à-tout. Et lorsque l’ampli-guitare devient un objet de collection, personnalisé, les commandes ne désemplissent pas. Le groupe toulousain Kid Wise, le guitariste du duo toulousain Bigflo et Oli ou l’harmoniciste Marko Balland ont fait appel à lui.
« J’aimerais qu’il y ait plus de 24 heures par jour ! »
Quant à la transmission de son savoir-faire, sa carrière de professeur n’est pas très loin. « J’ai collaboré avec une école de design toulousaine afin que les étudiants créent un réservoir d’idées pour ma marque. J’ai retenu notamment la proposition d’un étudiant que je forme aujourd’hui en stage. Ses enceintes bluetooth qui réinterprètent mes codes, sont en cours de finalisation », détaille-t-il. La musique a bercé l’enfance de ce Clermontois d’origine et Toulousain d’adoption. « Ma grand-mère du côté paternel était chanteuse et cheffe de chœur à Beauvais, ce qui, petit, m’a amené à faire de la clarinette et du solfège, mais le côté académique ne m’emballait pas. De son côté, mon père, pilote de chasse et formateur de pilote chez Airbus, aimait chanter et jouer de la guitare pour nous. Un jour, je suis rentré de l’école et j’ai vu ses deux guitares posées sur mon lit, car mes parents s’affairaient à un grand ménage. Elles n’ont plus quitté ma chambre. Mon père m’a écrit les accords mineurs et majeurs, m’a donné des partitions des Beatles. Ensuite, j’ai fait mon propre chemin issu d’une culture rock et du rock progressif. J’ai foulé les scènes occitanes pendant 10 ans avec un groupe toulousain de métal progressif, Nemesis. Le dernier groupe en date avec lequel j’ai joué est Lucid, un groupe de rock alternatif. Aujourd’hui, je continue de temps en temps mais juste pour le plaisir. »
… MAIS AUSSI LE SPORT
Le jeune garçon nourrit deux envies, suivre les traces de son père ou devenir professeur d’EPS. « J’ai eu le déclic en classe de 6e. Le principal, qui était professeur d’EPS et mon entraîneur de triathlon, a su me transmettre sa passion pour la pédagogie, le sport, etc. Plus tard, je me suis rendu compte que je n’étais pas fait pour rester sur les bancs des grandes écoles pour devenir pilote » . Il obtient son CAPEPS en 2003 à Toulouse, est titularisé en 2004, puis est affecté à Châtillon au collège Paul Eluard. Il intègre ensuite un poste à l’université de Tours au Service universitaire des activités physiques et sportives (SUAPS) en 2008 en tant que chargé des activités de fitness et musculation, avant de devenir directeur de ce même service et en parallèle préparateur physique pour les sportifs de bon et haut niveau. En 2014, il pose à nouveau ses valises à Toulouse pour rejoindre le service Sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) de l’université Paul Sabatier et former des préparateurs physiques en filière entraînement sportif.
En marge, il continue de développer sa marque Dewitte Wired. De cette expérience sportive, il pointe aujourd’hui une problématique : « Les statistiques en 10 ans montrent que les jeunes en France ont perdu 25% de capacité physique au niveau sportif, ce qui a tendance à me catastropher. Le sport, c’est exigeant, comme l’emploi, l’entrepreneuriat. Si jeune, on apprend l’exigence, cela fait que plus tard on est impliqué, et ça, on ne l’inculque pas assez. » Nicolas Dewitte se définit luimême comme un laborieux « tous les jours, je pousse mon tas de sable, mais je n’attends jamais de me faner dans un projet. » Il gère ses affaires comme il s’entraîne quotidiennement au sport. Comme en matière de performance sportive, pour lui « on ne peut pas réussir seul ». Il est d’ailleurs à l’initiative d’un tiers lieu avec une vision à 360° du monde de la musique et de la création. « Guitar Wonderland, basé à Portet-sur- Garonne, est un écosystème initialement orienté autour de la guitare. Il est né d’une volonté de ma part de réunir et mettre en synergie des acteurs du monde de la musique. Il réunit une partie atelier, des bureaux, un studio photo et vidéo, une agence de communication spécialisée et une école de musique. Aujourd’hui, il s’ouvre aussi aux startup », sourit ce passionné qui conclut : « J’aimerais qu’il y ait plus de 24 heures par jour ! »