Thierry Vareille
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Thierry Vareille

Maître bonsaï.

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Thierry Vareille a ouvert il y a 43 ans sa boutique dans la Ville rose, rue Tolosane. Il s’agit du magasin spécialisé en bonsaï le plus vieux de France. (©Maxime Cossé)

La petite arrière-cour du 12 rue Tolosane baigne dans une lueur de fin de journée. Luxe, calme et volupté règnent en maître à l’Arbre en Pot, cette bulle temporelle en plein cœur de Toulouse que s’est créée Thierry Vareille, grand mordu de plantes. Et quelles plantes ? De multiples variétés d’arbres, tordus dans tous les sens et qu’on appelle des bonsaïs. Une petite centaine trône aujourd’hui sur les étagères qui parcourent l’ensemble des murs. Seuls le bruit de la fontaine et le claquement des outils de l’artiste viennent perturber la scène.

Depuis 43 ans, Thierry Vareille taille ses arbustes avec dextérité dans cette clairière de verdure au milieu des immeubles. Les professionnels comme lui se font rares en France, très rares. Ils sont aujourd’hui moins d’une quinzaine sur le territoire à faire perdurer ce savoir-faire ancestral. Démocratisé par les japonais, l’art du bonsaï trouve pourtant ses origines en Chine.

« Ce sont en effet des paysans chinois qui ont remarqué, deux siècles avant Jésus-Christ, des petits arbres capables de pousser à flanc de falaise et ce, malgré une nature hostile : avalanches de neige, foudre, vent, animaux sauvages », raconte l’intéressé tout en taillant de jeunes pousses d’un buis. « Un jour, l’un d’eux a eu l’idée de planter des graines dans un petit pot. Une fois germées, il a entretenu les plantes avec des techniques inspirées des quatre éléments. Il a notamment plié les arbustes dans tous les sens grâce à des fils de fer comme le vent pourrait le faire. »

Les années 90’, l’âge d’or du bonsaï

Âgé aujourd’hui de 66 ans, Thierry Vareille est plus qu’animé par son travail. Assis derrière son établi couvert de feuilles et de brindilles, l’homme aux yeux clairs, l’oreille gauche percée d’un anneau, sourit quand il parle de son enfance. Né au Cameroun en 1959, il y a vécu une jeunesse dorée. Après le divorce de ses parents, sa mère s’installe au sud de la Chine. C’est le tournant de sa vie ! « Elle m’a fait venir à Guangzhou (Canton), où j’ai suivi des cours de kung-fu. C’est dans les rues voisines du dojo que j’ai découvert mes premiers bonsaïs », se rappelle-t-il. Profitant du climat équatorial, il s’essaie à cet art dès son retour en Afrique.

Thierry Vareille héberge environ 300 arbustes à l’année, dans le cadre de son service de clinique pour bonsaï. (©Maxime Cossé)

Alors jeune adulte, il pose ses valises en France et se forme à l’art du paysagisme et à l’horticulture à Auzeville, dans la banlieue toulousaine, avant d’ouvrir sa boutique en 1982. Cette année-là, la culture du bonsaï a le vent en poupe. Les clients sont nombreux. « De 1988 aux années 2000, il y avait cinq ou six boutiques rien qu’à Toulouse, et plus d’une centaine de professionnels dans toute la France. » L’activité bat son plein, l’intéressé décide alors de surfer sur cet engouement pour élargir son offre.

En 1994, il ouvre avec l’aide de trois salariés une deuxième boutique, près de la place du Capitole, dans laquelle il vend des plantes rares : des orchidées, des épiphytes, des carnivores, des succulentes. Il lance dans la foulée un service inédit : le « SOS plantes vertes ». Le succès est au rendez-vous mais face à la charge de travail, le chef d’entreprise prend une décision forte, celle de fermer cette boutique quatre ans plus tard pour se concentrer sur le commerce de bonsaïs. Sa vraie passion.

Une aventure entrepreneuriale dans laquelle Thierry Vareille a toujours pu compter sur le soutien de sa famille, notamment de sa mère et de ses deux fils qui se sont formés sur le tas, à ses côtés. Aujourd’hui paysagistes de formation, ils sont à la tête de leur propre affaire spécialisée dans l’aménagement de jardins japonais à Toulouse. « J’ai une chance que beaucoup de mes collègues n’ont pas, celle d’avoir des enfants susceptibles de reprendre mon activité lorsque je partirai à la retraite », une branche à laquelle le passionné s’accroche volontiers bien qu’il ne se voit pas lâcher les ciseaux de sitôt.

Les défis du commerce vivant

Loin de compter ses heures, Thierry Vareille met la gestion de son commerce, qu’il partage avec son unique employé, et l’entretien de ses petits protégés au dessus de tout. Y compris les vacances. Et pour cause, l’Arbre en Pot fait aussi office de pension. Un service insolite qui permet aux propriétaires de bonsaïs de les laisser plusieurs semaines moyennant un loyer. « Cet été, j’ai annulé mes quinze jours de vacances parce qu’il faisait 40 degrés à Toulouse. Même si nous avons un système d’arrosage automatique, il fallait quelqu’un pour surveiller les pensionnaires », déclare le sexagénaire, qui, malgré des journées éprouvantes, ne montre aucun signe de fatigue.

« Comme les vignerons, nous dépendons beaucoup de la météo. Nous craignons la chaleur, comme nous craignons la grêle », souffle-t-il. Hors horaire d’ouverture, il doit aussi répondre à de nombreux mails, gérer son business, assurer l’entretien de la boutique, en plus de se rendre une fois par an chez ses fournisseurs en Belgique, en Hollande, en Allemagne.

Le maître bonsaï utilise une quinzaine d’outils dans l’entretien des arbres, allant des ciseaux de précision aux pinces coupantes, en passant par des fils de fer de différentes épaisseurs. (©Maxime Cossé)

Déjà très exigeant comme métier, le dirigeant doit faire face depuis maintenant plusieurs années à de nouvelles contraintes d’ordre logistique. Alors que les intermédiaires se fournissent historiquement sur les marchés chinois et japonais, des tensions géopolitiques ont rebattu les cartes du transport maritime. « En temps normal, le trajet en porte-conteneur dure un mois, ce qui équivaut à 10 % de perte d’arbres », développe le commerçant. « Lorsqu’il y a eu des attaques des rebelles houthis dans le détroit d’Ormuz, nous avons décidé de faire passer les bateaux par l’Afrique du Sud. Problème, un trajet de quatre mois comme celui-ci, c’est 80 % de perte ! »

Alors, pourquoi ne pas s’approvisionner en Europe ? « Tout simplement parce qu’il n’y a pas de marché. Pour avoir un arbre d’entrée de gamme à 30 €, il faut 8 à 10 ans. C’est une culture qui ne peut pas être mécanisée. Pour une telle durée de production, la main-d’œuvre européenne coûterait trop cher », estime le toulousain.

Son offre s’adapte au marché

Malgré ce contexte contraint, son activité tourne à plein régime. Le maître bonsaï vient récemment de faire l’acquisition d’une pièce rare qu’il espère bientôt vendre à un collectionneur : un rhododendron cinquantenaire estimé à plus de 10 000 €. Niché sur son caillou, et habillé d’une magnifique poterie nippone, l’ensemble est impressionnant. Pourtant contrairement à ce que l’on pourrait penser, « ce sont la pension et la clinique qui représentent 70 % de mon activité. En été, j’ai 300 arbustes à bichonner, et j’en soigne environ 300 autres chaque l’année », détaille le professionnel qui donne par ailleurs des cours sur réservation.

Les premiers prix des arbres bonsaïs sont estimés à 30 € minimum, et peuvent aller jusqu’à plusieurs milliers d’euros. (©Maxime Cossé)

Une répartition de son activité qui s’explique par l’adoption de la culture du bonsaï par de plus en plus de consommateurs qui pour beaucoup se fournissent chez des non professionnels, notamment dans les supermarchés. Loin d’empiéter sur son business, cette démocratisation lui est bénéfique : « 60 à 70 % des arbres que j’ai en pension et en clinique proviennent de fleuristes qui malheureusement vendent des plantes low-cost à des néophytes dans l’art du bonsaï », regrette-t-il.

Thierry Vareille dénonce également l’avènement des réseaux sociaux qu’il tient responsables d’une perception biaisée de son travail. « Sur ces plateformes, on voit des gens qui font ça depuis trois ou quatre ans et qui pensent déjà tout savoir. Ils en parlent comme si c’était simple, alors que ça n’est pas le cas », déplore le spécialiste. Seul avantage de ces applications ? La notoriété, concède celui qui s’apprête, à partir de 2026, à faire sa pub via des posts hebdomadaires sur Instagram. Objectif ? Faire de la communication ciblée, tout en touchant un public plus large.

Pour le chef d’entreprise, le choix d’Instagram ne doit rien au hasard. Véritable portfolio digital, cette plateforme est l’outil idéal pour valoriser l’art du bonsaï, sa philosophie, ses techniques et son esthétisme. Une preuve que, face aux évolutions et difficultés que traverse sa profession, Thierry Vareille continue à avancer sereinement. Serait-il comme ces petits arbres à flanc de falaise, qui, face à la nature hostile, plient, mais ne rompent pas ?