Aymeric Azran
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Aymeric Azran

La fibre de l’industrie à la française.

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Aymeric Azran, la fibre de l'industrie à la française
Aymeric Azran, président de la start-up industrielle Nobrak (© DR)

Ils sont partout. Dans nos voitures, dans certaines chaussures, dans votre casque audio, dans votre valise… Les matériaux composites textiles ont leurs entrées dans d’innombrables secteurs d’activité. « Partout où il y a la problématique de la masse, il y a des applications pour nous », résume Aymeric Azran, président de Nobrak, une jeune entreprise montalbanaise qui a amélioré et développé un procédé de fabrication. Pour faire simple, le savoir-faire de cette start-up permet d’élaborer des matériaux composites plus légers ou plus résistants, en un mot plus performants. Une solution qui présente d’autres avantages : « Côté environnemental, la technologie que nous avons développée limite la dépense en énergie et ne produit aucune chute de matière première. L’intérêt économique est énorme en ce moment, avec l’augmentation des prix… »

Lancée en 2016, Nobrak (Karbon à l’envers) travaille sur des projets pour les secteurs du luxe, des sports et loisirs, du militaire, du spatial, de l’aéronautique… Si tout va bien, la petite société de Tarn-et-Garonne, qui compte une dizaine de salariés, devrait passer pour la première fois en phase de production industrielle avant la fin de l’année. Il s’agira de fabriquer des pièces de sièges bébé en fibre de carbone pour une entreprise israélienne. Une nouvelle étape salutaire, puisqu’elle permettra de faire entrer des liquidités, principale difficulté de Nobrak. La survie de la société n’est pas menacée, mais sa croissance entravée : « Cela fait deux ans que l’on essaie de trouver des financements mais on n’y arrive pas. C’est difficile pour les jeunes industries en France en ce moment. »

« Aller au bout du chemin »

Frustrant, mais pas rédhibitoire pour Aymeric Azran, qui a l’envie de créer et de gérer sa propre structure depuis l’enfance. « Même petit j’ai toujours été délégué de classe. Être entrepreneur, ça s’apprend, mais je pense que dans l’envie, il y a de l’inné. » Né à Toulouse en 1987, ses premiers projets d’avenir sont loin de l’industrie : il rêve de devenir zoologue spécialiste des écosystèmes tropicaux. Finalement, c’est vers le métier d’ingénieur qu’il s’oriente. Après une prépa à Tarbes, il intègre un établissement d’enseignement supérieur à Clermont-Ferrand et se spécialise en structure et mécanique des matériaux. En 2010, le jeune ingénieur valide son diplôme et commence à travailler avec l’entreprise où il vient de réaliser son stage de fin d’études, RT2i, un sous-traitant aéronautique. Le futur dirigeant de Nobrak entreprend un important travail de recherche et se lance dans une thèse.

« Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un seuil : si on arrête d’investir, on est rentable. Mais ce serait une erreur stratégique colossale. Il faut continuer à développer, à accélérer en permanence »

« J’avais envie d’aller au bout du chemin. » Aymeric Azran bénéficie d’un dispositif qu’il estime non reconnu à sa juste valeur : une Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre). « Faire un doctorat dans une entreprise, c’est mieux payé qu’à l’université, mais moins bien qu’un jeune ingénieur. L’entreprise y gagne de la R&D en interne. L’État paie une partie de la formation, donc ça ne coûte pas grand chose à l’employeur. Et la thèse est effectuée en collaboration avec un laboratoire universitaire, lié à l’entreprise. Tout le monde y gagne. C’est un modèle que je défends et promeus. » En 2015, il soutient et valide sa thèse qui porte sur « l’intégration de fonctions sur matériaux composites innovants pour l’aéronautique ».

Plus de 30 projets développés en simultané

Cette première expérience professionnelle et ce travail de recherche vont être déterminants. Aymeric Azran fait la rencontre de son futur associé, Bertrand Laine, son supérieur hiérarchique, docteur et ingénieur comme lui. Par ailleurs, les connaissances techniques que le Toulousain développe chez RT2i seront la base du procédé qui fait aujourd’hui le succès de Nobrak. En 2015, alors que la société pour laquelle il travaille bat de l’aile, Aymeric Azran décide de profiter d’un licenciement économique pour se mettre progressivement à son compte. Il suit une formation avec Pôle emploi - « pour être capable de discuter avec un comptable », commence à enseigner en lycée professionnel pour avoir de quoi manger et créé la société Nobrak avec son associé. En 2017, ils intègrent la pépinière d’entreprise de Montauban et en 2018, déposent le brevet de leur solution technique. « On a mis un an et demi pour comprendre le fond du procédé et le développer. »


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Concrètement, la technologie de Nobrak permet de déposer automatiquement plusieurs fibres (carbone, kevlar, verre ou fibres naturelles comme le lin) lors de la fabrication de préformes, élaborées pour le besoin de chaque client. « On peut poser jusqu’à 10 fibres à la fois, mais c’est rare d’aller jusque là. À un niveau industriel, on en fait deux ou trois, et c’est largement suffisant. » Le savoir-faire de cette start-up permet également de fonctionnaliser l’équipement, c’est-à-dire d’intégrer des puces, des câblages ou encore des capteurs pour fabriquer des matériaux intelligents. Les contacts et les contrats se multiplient rapidement pour la société montalbanaise, qui intervient sur toute la chaîne, de la recherche de clients à la production.

Aujourd’hui, plus de trente projets sont développés en simultané, et l’effectif est passé de trois personnes en 2020 à 10 employés deux ans plus tard. Mais Nobrak peine à franchir un cap, faute de financements. « C’est difficile en ce moment. De faire de l’industrie en France, d’avoir des gens qui fabriquent quelque chose. Il y a une volonté politique, il y a des success stories, mais en pratique ce n’est pas comme on le voit à la télé. Notre volonté, c’est clairement de faire de la production en France mais ce n’est pas simple. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un seuil : si on arrête d’investir, on est rentable. Mais ce serait une erreur stratégique colossale. Il faut continuer à développer, à accélérer en permanence. »