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Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?

Numérique. L’accélération de la transformation numérique de l’administration est porteuse d’une évolution profonde de la relation à l’usager.

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Il y a trois ans déjà, le Défenseur des droits avait mis ce sujet sur le devant de la scène en publiant le rapport Dématérialisation des services publics et inégalités d’accès aux droits.Mais aujourd’hui encore, les délégués et les juristes du Défenseur des droits continuent de recevoir des réclamations toujours plus nombreuses, qui sont la conséquence d’une numérisation inadaptée aux situations des usagers. C’est pourquoi il est apparu nécessaire d’établir un rapport de suivi sur les inégalités d’accès aux droits provoquées par des procédures numérisées à marche forcée. De fait, en 2021, près de 115000 réclamations ont été adressées à la Défenseure des droits. 90000 d’entre elles concernent les services publics, pour 35000 en 2014. Comme le précédent, ce rapport souligne les difficultés spécifiques que rencontrent certains publics :

  • les personnes âgées sont encore souvent éloignées du numérique ;
  • les jeunes sont moins à l’aise qu’on ne le croit avec l’administration dématérialisée ;
  • les personnes handicapées n’ont toujours pas affaire à des services publics accessibles ;
  • les majeurs protégés et les personnes détenues n’ont pas vu leur situation s’améliorer ;
  • les personnes étrangères sont encore plus massivement empêchées d’accomplir des démarches qui sont absolument nécessaires à leur vie quotidienne et au respect de leurs droits fondamentaux ;
  • les personnes en situation de précarité sociale vivent les démarches numériques comme un obstacle parfois insurmontable, alors que ce sont celles pour lesquelles l’accès aux droits sociaux revêt un caractère vital.

Mais ces publics ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés. En définitive, les effets de la dématérialisation nous concernent toutes et tous. Si la possibilité d’effectuer des démarches en ligne simplifie de nombreuses situations, chacun d’entre nous peut, un jour, rencontrer un blocage incompréhensible face à un formulaire en ligne, ne pas parvenir à joindre un agent, échouer à dénouer un problème. Surtout, la dématérialisation s’est accompagnée d’un report systémique sur l’usager de tâches et de coûts qui pesaient auparavant sur l’administration. C’est à l’usager de se former, de se faire aider, de faire, d’être capable. Pour accéder à ses droits, il lui appartient de s’adapter aux conditions de l’administration. C’est un renversement historique d’un des trois principes du service public : l’adaptabilité – qui devient une qualité attendue de l’usager, plutôt qu’une exigence qui incombe au service.

Depuis 2019, beaucoup de choses ont changé. Un effort important a été engagé par l’État en faveur des personnes en situation de vulnérabilité numérique. Mais malgré cela, l’ensemble des acteurs s’accordent à estimer qu’aujourd’hui comme hier plus de 10 millions de personnes sont en difficulté avec le numérique dans notre pays. Portant atteinte au principe d’égal accès au service public, la dématérialisation à marche forcée met en danger notre cohésion sociale, notre sentiment d’appartenance commun, et fait courir le risque d’un affaiblissement de la participation démocratique, dans toutes ses dimensions. Il est essentiel de revenir aux fondements du service public et de revitaliser ses grands principes que sont la continuité, l’égalité et l’adaptabilité.

La dématérialisation des procédures administratives s’inscrirait ainsi comme une offre supplémentaire et non substitutive au guichet, au courrier papier ou au téléphone. Cela suppose de laisser à chaque usager le choix de son mode de relation avec l’administration et donc de ne pas l’enfermer dans une relation exclusivement numérique, mais aussi de ne pas faire porter aux usagers la responsabilité des éventuelles difficultés qu’il rencontre. Il faut également renforcer l’efficacité de la politique d’inclusion numérique, l’inscrire dans le temps, lui donner moyens et visibilité, améliorer la qualité des procédures dématérialisées. De nombreuses mesures sont proposées pour améliorer ces services, en particulier pour les populations actuellement les plus pénalisées par la dématérialisation.