Intitulée « Luttes et revendications individuelles et collectives de vigneronnes et contestations des rapports de genre en viticulture », la thèse de Chloé Le Brun, enseignante-chercheuse en sociologie à l’École d’Ingénieurs de Purpan, est le résultat de quatre ans de recherche financés par la Région Occitanie et l’EI Purpan. En France, les femmes représentent 30 % des actifs permanents agricoles dont 27% sont chefs d’exploitation, coexploitantes ou associées. Après avoir progressé entre 2000 et 2010, la féminisation de la main-d’oeuvre marque le pas avec une tendance à la baisse plus accentuée pour les familles d’exploitants agricoles. En 2019, 29,5% des exploitations et entreprises agricoles (soit environ 107 000) sont exploitées ou coexploitées par au moins une femme. 31,6 % des exploitations agricoles ont au moins une femme dans leur équipe dirigeante : 16,7 % sont exclusivement dirigées par des femmes et 12,8% par une équipe mixte.
61,1% des cheffes d’exploitation sont à la tête de structures de forme sociétaire comportant plusieurs associés actifs (55,7 % lorsqu’un homme dirige), 23,2% sont en EARL et 21,8% en GAEC. Lorsqu’elles sont seules dirigeantes, 68,5% des femmes privilégient la forme juridique en nom personnel (57,1 % pour les hommes). Les femmes représentent 83,7 % des conjoints actifs sur une exploitation. Parmi l’ensemble des conjointes d’exploitants (mariées, pacsées ou en concubinage), 12,9% sont affiliées à la MSA en 2019 avec le statut de conjointe collaboratrice, soit 19 300 femmes, un chiffre divisé par deux en 10 ans.
Les derniers recensements agricoles montrent que la main-d’oeuvre fournie par les actifs apparentés aux chefs d’exploitation individuelle a reculé de 31% entre 2010 et 2016. La participation d’un certain nombre de femmes à l’activité agricole des exploitations demeure cependant difficilement mesurable. La MSA recense environ 132 200 conjointes d’exploitants sans statut. Fin 2019, les femmes étaient majoritaires au régime des non-salariés agricoles de la MSA (56%) : plus de 284 000 étaient alors cheffes d’exploitation, 248 000 avaient le statut de conjointe collaboratrice, près de 111 000 celui d’aide familiale, 91 000 n’ayant aucune activité dans le régime agricole mais percevant la pension de retraite de réversion agricole.
Zoom sur la viticulture en Occitanie
Certaines productions agricoles sont particulièrement féminisées notamment la viticulture. Les femmes en viticulture représentent ainsi 23 % des chefs d’exploitation et coexploitants de moins de 40 ans (par comparaison 19 % en agriculture). 27 % sont cheffes d’exploitation ou première coexploitante (agriculture : 23%). En 2016, les femmes représentaient 30 % des exploitants au sein des moyennes et grandes exploitations. Au final, 32 000 femmes exercent une activité viticole dont la moitié comme chef d’exploitation. Les données montrent également que la viticulture est une orientation agricole particulièrement choisie par de nombreuses femmes qui s’installent hors cadre familial à la suite d’une reconversion professionnelle. En Occitanie, en 2018, la viticulture a été la 4e OTEX (Orientation technico-économique des exploitations) au sein de laquelle les 13100 nouveaux et nouvelles chefs d’exploitation se sont installés. Hors transfert entre époux, 10% d’entre eux ont choisi la viticulture.
En 2016, sur 791 nouvelles agricultrices, 182 (19 %) se sont installées en viticulture. On note que depuis une vingtaine d’années, le taux de féminisation des installations en viticulture est supérieur à celui de l’agriculture. Cette enquête qualitative mêle des observations conduites sur les domaines viticoles, sur les activités de trois collectifs de vigneronnes d’Occitanie ainsi que sur une soixantaine d’entretiens individuels menés auprès d’hommes et femmes vignerons, professionnels de la filière et élus au sein des organisations professionnelles viticoles régionales. Le rapport montre qu’à l’échelle individuelle, les vigneronnes contribuent par leurs pratiques à renouveler le métier et à contester les normes de genre qui structurent la viticulture.
Le recrutement s’est élargi depuis plusieurs décennies avec de plus en plus de femmes issues du milieu agricole qui s’installent sur les domaines viticoles, reprennent les domaines familiaux ou s’installent hors cadre familial. Elles présentent une grande diversité de profils, de trajectoires de vie et de conditions d’accès au métier. Cet élargissement favorise les appropriations d’idées féministes revendiquant des changements (nouveaux schémas d’organisation domestique, revendications d’identités professionnelles autonomes, constructions de féminités alternatives). Mais il tend aussi à diluer l’héritage du long combat des agricultrices, leurs luttes n’étant pas toujours intériorisées par celles qui s’installent en viticulture.