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Noël Le Graët et le football français : un régime monarchique à bout de souffle

Les règles et les lois républicaines s’arrêtent-elles aux portes du football français ? La question mérite d’être posée, à en juger par le parcours de Noël Le Graët.

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Photo d'un stade de football
(Crédit : Freepik)

Ancien président de l’En Avant Guingamp, le club de football de la ville dont il fut aussi le maire entre 2002 et 2011, il a pu demeurer près de 40 ans à la tête du football français, briguant les postes les plus prestigieux de la Fédération française de football (FFF) comme de la Ligue professionnelle de football (LFP).

Un parcours qui rappelle celui de Joao Havelange, l’ancien homme fort du football mondial, dont la vie tourmentée a inspiré la série El Presidente.

Heureusement pour le football français, la vie de Noël Le Graët n’est pas encore une série TV. Mais bien la réalité contemporaine du sport le plus populaire de notre pays. Le sport roi par excellence a un roi. Un monarque de droit divin qu’aucun écart ni aucun échec ne semblent pouvoir atteindre.

Comment, en effet, ne pas songer au principe monarchique quand, à peine poussé à la démission de la présidence de la FFF et âgé de 82 ans, Noël Le Graët est annoncé à la tête du bureau parisien de la Fédération internationale de football (FIFA) ?

La FFF, la FIFA et le football de droit divin

Le système électoral qui l’a porté au pouvoir rappelle d’ailleurs, dans les faits, celui qui avait cours autrefois dans le Saint Empire romain germanique, avec ses grands électeurs et ses principautés. Le président de la FFF est, en effet, élu par 218 grands électeurs qui sont réputés représenter quelque 2 130 000 licenciés, répartis entre environ 14 000 clubs amateurs et 45 clubs professionnels.

Ces 218 grands électeurs, qui bénéficient d’un total de 34 460 voix, sont eux-mêmes pour plus de la moitié élus au niveau départemental ou régional ou sont des représentants de clubs professionnels, sachant par ailleurs que le monde amateur représente 63 % du total des votes et que le monde professionnel en représente 37%.

Pour finir, si besoin était, de concentrer le pouvoir au sein de la FFF, le président et sa liste ainsi élus se voient octroyer 100% des sièges au Comité exécutif, aucune place – vous avez bien lu – n’étant laissée aux candidats battus ni aux membres de leurs listes respectives. La contradiction, source d’émulation démocratique, est statutairement impossible au sein de la FFF, où il n’existe rigoureusement aucun contre-pouvoir.

Les statuts de la FFF prévoient, par ailleurs, que le pouvoir d’écourter le mandat du président, et celui du Comité exécutif, revient à l’Assemblée fédérale, qui doit avoir été convoquée à la demande du quart de ses membres, représentant au moins le quart des voix. Des conditions impossibles à réunir dans le fonctionnement de la FFF. Et qui n’ont jamais pu être réunies.

Le poids des enjeux financiers

Mais le problème ne s’arrête pas là. Car ce président concentrant tous les pouvoirs et que les statuts rendent, dans les faits, inamovible, est aussi celui qui vote pour l’élection des présidents de l’UEFA, d’une part, et de la FIFA d’autre part. Il contribue donc à l’élection des patrons du football européen et international.

Dans ces conditions, il est logique que l’un d’entre eux – le président de la FIFA – ait alloué un nouveau trône à Noël Le Graët, lorsque ce dernier a dû, poussé dans le dos, laisser vacant celui qu’il détenait à la FFF. L’enjeu est immense, y compris et surtout…au plan financier. La FIFA, l’UEFA et la FFF pour ne parler que d’elles, réalisent des profits mirobolants, basés sur des compétitions dont les droits se vendent de plus en plus cher.

Dans l’ombre de ces fédérations, un clan de clubs extrêmement riches a pris l’ascendant économique sur les autres, se partageant chaque saison une grande partie des droits redistribués par ces fédérations et autres ligues. Derrière eux, la majorité des clubs professionnels se bat pour sa survie.

Dans le football moderne, le président-roi règne sur un clergé composé d’élus acquis à sa cause, sur une noblesse plus ou moins riche faite de clubs professionnels aux titres divers et variés, et sur…un tiers-état composé de la masse de ces 2 130 000 licenciés et de ces 14 000 clubs amateurs.

Le football moderne ressemble à l’Ancien Régime français. Et il est aujourd’hui à la veille de sa révolution. S’il est en souffrance aujourd’hui, c’est avant tout parce que sa tête est malade. Des mesures réformatrices d’envergure s’imposent.

Élargissons le corps électoral participant à l’élection du président de la FFF, imposons une participation des perdants à la gouvernance de la Fédération, rendons le président et le Comité exécutif plus responsables devant l’Assemblée fédérale qu’ils ne le sont aujourd’hui et limitons le nombre des mandats du président à deux. Nous aurons alors, déjà, fait un grand pas en avant.